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MONSIEUR LE MARQUIS

— Enfin, pas un ne lui semblait possible à aimer, parce qu’elle aimait son mari et que pas un de ces jeunes hommes ne lui semblait digne de lui être préféré. Alors elle eut recours aux absents :

— Il ne connaît pas mon cousin ; Amédée est parti depuis six mois…

Et elle se décida subitement à l’adoration de son cousin, qui ne se doutait pas d’un si grand bonheur, je vous l’assure.

Pendant qu’elle réfléchissait ainsi, Clémentine avait un air d’embarras, d’anxiété, qui servait à merveille ses mensonges et prêtait à son aveu si chastement trompeur toute la force d’une coupable vérité.

Lionel devait s’y tromper.

— Je vous en prie, madame, soyez franche : je dois savoir son nom ; votre hésitation à le dire m’étonne. Nommez-le, Clémentine, je le veux.

— Vous ne le connaissez pas, dit-elle ; il est depuis six mois en Espagne. Il est attaché à l’ambassade… C’est mon cousin…

— Toujours des cousins ! interrompit Lionel avec impatience ; je suis poursuivi par les cousins !

Le souvenir du prince de Loïsberg vint encore exciter son courroux.

— Son nom ? ajouta-t-il.

— Amédée.

— Son nom de famille ?

— C’est le mien.

Lionel n’avait jamais vu M. Amédée Bélin, il restait donc dans la même incertitude. Un rival inconnu est toujours charmant ; et puis cette qualité de secrétaire d’ambassade laisse supposer de l’élégance. Clémentine aurait nommé l’homme le plus séduisant de Paris, que Lionel n’aurait pas éprouvé plus de colère et de jalousie. Il lui aurait si vite trouvé un défaut qui l’eût déparé, une aventure ridicule pour le détruire dans l’esprit de cette jeune fille romanesque ; et puis il aurait du moins combattu tout de suite, et c’est quelque chose que de pouvoir agir promptement dans la colère ; mais un inconnu… un ennemi qu’on ne peut même pas se figurer, comment l’atteindre ?