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DE PONTANGES.

— Oh ! que cela est affreux de n’être pas aimée ! s’écria Clémentine en répondant à sa pensée.

— Quoi ! dit Lionel, se méprenant sur le sens de ses paroles, celui que vous aimez ne voulait donc pas vous épouser ?

Clémentine, loin de s’offenser de cette insolence, saisit cette idée qui servait son mensonge.

— Il m’a refusée, dit-elle, et le dépit

À ce mot, Lionel tressaillit… — Le dépit ! répéta-t-il avec un mouvement convulsif.

Il était pâle ; la colère décomposait son visage.

— Ah ! c’est par dépit que vous m’avez choisi !… Mais vous me devez, madame, un aveu complet, reprit-il avec rage. Et malgré lui sa main serrait fortement celle de Clémentine. Dites… dites : quel est cet homme qui a touché votre cœur, dont l’abandon vous a fait compromettre ainsi le bonheur et le repos de votre vie ? Allons, madame, vous me devez d’être sincère… nommez-le !

Il y avait une insaisissable fatuité dans le désir qu’avait Lionel de connaître son rival.

— Amour de jeune fille, pensait-il, rêverie de pension, dont il sera facile de triompher…

Clémentine gardait le silence ; elle éprouvait un embarras véritable, que Lionel interpréta faussement. La triste jeune fille avait bien trouvé dans son orgueil cet ingénieux mensonge ; mais elle n’avait pas eu la présence d’esprit de prévoir les différentes questions qu’il amènerait.

Elle s’était dit : — Il aime une autre femme, il s’est marié par dépit ; eh bien, moi aussi, je lui dirai que je l’ai épousé par dépit… je lui dirai que j’en aime un autre !

Un autre ! bon… Mais qui ?… on lui demandera qui.

Elle n’avait pas prévu cela ; elle n’avait pas pensé à se munir d’un rival probable ; et maintenant elle se trouvait prise au dépourvu et se mettait la tête à la torture pour trouver quelqu’un à nommer.

M. de Tercy ? pensa-t-elle ; non… Lionel est bien mieux que lui… Il n’y croira pas… M. Sarrelouis ? non… il a l’air si gauche !… M. de Sirieux ? oh ! non, on sait que je l’ai refusé !…