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MONSIEUR LE MARQUIS

— Je ne puis faire autrement ; mais je reviendrai ; d’ailleurs il n’est pas convenable…

— Que voulez-vous dire ? qu’est-ce qui n’est pas convenable ?

— Que dans les premiers temps de votre veuvage je vienne…

— Qu’importe ? reprit madame de Pontanges avec impatience ; que parlez-vous de convenances ! Ne voulez-vous pas que j’affiche une douleur hypocrite ? J’ai fait mon devoir, Lionel ; j’ai soigné mon mari cinq ans avec courage. J’ai eu pour lui la pitié que l’on a pour un malheur ; mais je ne l’ai point aimé ; je ne puis regretter sans fausseté une existence dont il ne jouissait pas lui-même, et qui rendait la mienne misérable. Et d’ailleurs, que me fait le monde ? je ne le vois pas ! qu’importe ce qu’il dira maintenant ?… plus tard, ma conduite lui sera expliquée. Si j’étais au désespoir de la mort de mon mari, je m’enfermerais pour le pleurer ; je ne vous aurais pas écrit. Ah ! Lionel ! je comprends trop la véritable douleur pour la profaner par des grimaces. Il n’y a d’inconvenant que ce qui est mal… Oh ! ne partez pas !… restez… j’ai tant besoin de vous voir. Nous avons perdu de si beaux jours !… et les jours où je ne vous vois point ne comptent pas dans ma vie ! Ah ! restez ! ne gâtez pas si vite ma joie, Lionel ; restez !

Elle s’était approchée de lui en parlant ainsi ; elle passa la main dans ses cheveux, elle lui baisa le front chastement ; elle le caressait… elle qu’il avait toujours vue si froide, si réservée !

Oh ! ce baiser, si fraternel pourtant, le transporta.

— Laurence, s’écria-t-il, vous voulez donc que je reste ?… Vous me pardonnerez si… Mais non… non, il faut que je parte… je partirai.

Madame de Pontanges, ne comprenant rien à cette cruelle résolution, s’éloigna au désespoir et se laissa tomber sur son canapé.

— Je le sens, dit-elle, un malheur est entre nous ; ce n’est pas ainsi que je devais le retrouver. Ah ! peut-être il ne m’aime plus. À force de chagrin, j’ai glacé son cœur.

Elle fondait en larmes ; Lionel, en entendant les sanglots de Laurence, vit ses nobles résolutions l’abandonner.

— Elle le croit ! dit-il, elle croit que je ne l’aime plus ! cette pensée est insupportable…