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DE PONTANGES.

Et puis Laurence l’avait aimé le premier… Elle tenait à lui par ses premiers rêves, par ses premières émotions. Elle ne pouvait en aimer un autre sans perdre toutes ses croyances. Elle le préférait pour croire en elle aussi, elle l’aimait d’orgueil et puis de souvenir.

Si elle avait vu le prince de Loïsberg avant lui… c’est peut-être Gaston qu’elle aurait préféré. Si ce jour mémorable où tous les deux se rencontrèrent au château de Pontanges, si ce jour-là le prince était arrivé avant Lionel, peut-être tout aurait été différent… alors plus de larmes ; Laurence aurait épousé son cousin, qui comme relation, comme alliance de famille, lui convenait mieux que M. de Marny ; Lionel aurait épousé Clémentine sans dépit, sans regret, et tous les quatre eussent été heureux.

À quoi donc tiennent les plus grands événements de notre vie ? à une circonstance inaperçue, insignifiante : une heure plus tôt, une heure trop tard… et ceux qui s’aiment sont à jamais séparés… et ceux qui voudraient se fuir à jamais… s’unissent.


XXII.

JALOUSIE.


Lionel trouva en rentrant au logis ce que M. Dulac lui avait préparé, c’est-à-dire une très-jolie petite scène de jalousie. Madame de Marny était tout en larmes ; elle éclata en reproches. Son mari lui dit qu’elle était folle… Enfin tout se passa dans l’ordre. Mais je n’entretiendrai pas le lecteur de ce qu’il a déjà subi par lui-même certainement plus d’une fois. Il n’est point de femme si belle qui n’ait été jalouse ; point d’homme si laid qui n’ait mérité un reproche. Or, comme rien n’est plus facile à se figurer, à se rappeler qu’une scène de jalousie, je m’épargnerai le récit de celle qui accueillit Lionel à son retour.

N’ayant point de bonnes raisons à donner à sa femme, dont le désespoir l’inquiétait, Lionel eut recours à une ruse pour détourner les idées de Clémentine en les fixant sur un autre objet.

— Vous êtes bien naïve, ma chère, de ne pas deviner la