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MONSIEUR LE MARQUIS

— Volontiers, car je tiendrais à lui donner ce soir ce qu’elle désire. Tenez, mettez ce paquet de lettres à part : elles sont intéressantes. Voici un billet de l’empereur au général…

— Que vois-je ? interrompit M. de Marny : « Lionel ! jamais… » C’est de votre écriture ceci !

Madame de Pontanges jeta un coup d’œil sur le papier que M. de Marny lui montrait.

— Ah ! oui… c’est de moi et c’était pour vous… Comment ! je n’ai pas brûlé cette lettre ! Il y a bien longtemps que je l’ai écrite, c’était avant votre mariage ; j’étais très-malade alors. Comment se trouve-t-elle là ? je ne m’en souviens plus. Donnez.

— Non, je veux la lire.

— Je vous le défends.

— Je vous en conjure. Rassurez-vous, je ne croirai pas à ce qu’elle dit.

Laurence sourit et continua ses recherches d’autographes, pendant que M. de Marny lisait la lettre suivante :

« Oh ! quelle vie ! quel supplice ! Lionel, je deviens folle ; cette existence m’est impossible, ma tête se perd, je veux me tuer. Moi, rêver un suicide ! Ô mon Dieu ! qu’il faut que je sois devenue misérable pour rêver ainsi. Mourir, mourir volontairement avant que Dieu me rappelle, quand ceux qui m’aiment ont besoin de moi… Mais cependant ce que je souffre est insupportable. Ne plus vous voir… cette pensée m’arrache le cœur… et puis l’ennui, l’affreux ennui, un ennui poignant me saisit. Oh ! que je suis malade… j’étouffe, je suis oppressée, je tremble… et je ne pleure pas ! Encore si mon cœur pouvait s’attendrir, sa faiblesse me soulagerait ; mais pas un sentiment doux, pas même d’amour… Mon cœur est tendu, tendu si fort qu’il semble toujours qu’il va se briser, et il ne se brise jamais, et je le sens toujours qui m’emporte. Dieu ! qu’il est lourd !… Oh ! je me sens bien mal !… Je n’ai plus de courage… je ne comprends plus maintenant comment je vous ai renvoyé une seconde fois, comment j’ai oublié ce que j’avais déjà souffert… J’ai eu peur d’une existence affreuse, d’une vie de mensonges et de crainte ; et j’en ai choisi une cent fois plus affreuse encore.