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DE PONTANGES.

abuser ; elle se disait : « Je ne puis aimer Lionel, car si je l’aimais encore, je serais infâme ! et elle se croyait guérie. Le mieux aurait été de ne plus le voir, mais cela était difficile ; madame d’Auray les observait tous deux ; pour servir ses nouveaux projets, elle les rapprochait sans cesse ; et puis c’est toujours le dernier moyen qu’on imagine quand on a le cœur faible, parce que c’est le seul bon. — Ne plus se voir… ne plus se voir, je ne connais que ce remède ; mais on n’a pas idée des ruses, des roueries que l’âme invente avant d’en venir là !

Lionel affectait cependant de ne pas être chez sa femme quand madame de Pontanges y venait ; il ne pouvait voir ces deux femmes ensemble sans souffrir. Il devinait la prudence ingénieuse de Laurence, et il ne pardonnait pas à sa femme de la servir. Il ne pouvait lui pardonner non plus d’avoir le bon droit pour elle ; il la détestait presque. Sa mauvaise humeur était visible, et la pauvre Clémentine pleurait nuit et jour.

Elle s’affligea d’abord en silence ; mais bientôt elle se révolta. Elle recommença à bouder son mari et cessa tout à coup d’aller voir Laurence.

M. de Marny, trouvant sa femme très-maussade, s’en fit un prétexte pour l’abandonner franchement. Il passait sa vie hors de chez lui, à l’Opéra, au bal, partout où il savait trouver madame de Pontanges ; et plus madame de Pontanges semblait l’éviter, plus elle affectait de froideur avec lui, plus il l’aimait, plus il mettait de soin à lui prouver qu’il ne pensait qu’à elle.

Les choses en étaient là, lorsqu’un jour M. de Marny, étant venu voir madame de Pontanges plus tôt qu’à l’ordinaire, la trouva seule dans son salon. Seule, c’était un grand hasard, elle qui avait toujours chez elle tant de monde !

Elle était occupée à ranger des lettres sur une table.

— Que faites-vous donc là, madame, dit-il, avec ce grand portefeuille et tous ces papiers ?

— Je cherche des autographes. Madame de *** m’en demande pour un de ses amis qui en fait collection, et je cours après une lettre du maréchal de Catinat. Elle doit être dans ce portefeuille qui vous a tant effrayé.

— Voulez-vous que je vous aide ?