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MONSIEUR LE MARQUIS

éteint à sa vengeance ; elle aimait les preuves folles de cette passion qu’elle croyait morte à jamais ; elle reconnaissait par la comparaison de ses sentiments actuels avec les sentiments extravagants qui l’exaltaient alors, elle reconnaissait avec plaisir qu’elle n’aimait plus.

Lionel, qui voyait cette joie, était furieux… il ne pouvait comprendre que cette femme moqueuse et méchante qui le regardait souffrir avec bonheur, fût la même femme qui l’avait ainsi aimé de tant d’amour. Il s’arrêta.

— Eh bien, vous ne pouvez plus lire. La passion griffonne un peu : cela doit être. J’espère qu’il n’y a pas un mot d’orthographe, point de ponctuation… S’il y a une virgule, je me renie… une lettre d’amour, bien convenable, doit être indéchiffrable d’un bout à l’autre.

— Je vous demande pitié ! dit Lionel. Ne voyez-vous pas ce que je souffre ?… Cette lettre m’a rendu tout mon amour à moi. Ne me désenchantez pas, Laurence… laissez-moi croire que vous avez écrit cela… vous ne m’aimez plus, je vous pardonne ; mais laissez-moi encore l’amour d’autrefois, laissez-moi le passé… Si vous voulez que je lise, ne m’interrompez pas. Ah ! votre voix est si sèche maintenant ! c’est un son faux qui me blesse, laissez-moi lire encore cette lettre avec illusion.

Il continua :

« Ce que je souffre est insupportable. Ne plus vous voir… cette pensée m’arrache le cœur… et puis l’ennui, l’affreux ennui, un ennui poignant me saisit. Oh ! que je suis malade… j’étouffe !… »

— Je me rappelle cela, interrompit madame de Pontanges ; je souffrais bien, j’étais sincère, j’étais sérieusement malade : vous pouvez croire cela.

— Laurence, vous êtes bien cruelle ! Ne m’interrompez pas, je vous en prie, vous me faites un mal horrible. Ne profanez pas ainsi vos souvenirs. Vous m’avez aimé, Laurence ; je vous aime toujours, moi. Oh ! de grâce, respectez encore un amour que vous avez partagé. Vous ne pouvez le nier ! ajouta-t-il dans un état d’exaltation impossible à peindre… Cette lettre est de vous, madame, et vous l’entendrez !…