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MONSIEUR LE MARQUIS

Après deux mois de tourments amers, de solitude affreuse… après une journée de contrainte et de soupçons, après une visite pénible chez sa rivale, après les paroles cruelles, atroces, qu’il venait de lui dire… tout à coup, sans transition, sans gradation…

De la confiance ! de l’amour !

Une pauvre jeune femme, nerveuse et faible… exaltée par l’état de souffrance où elle se trouve depuis huit mois, par cette passion maternelle si puissante qui s’éveille déjà dans son cœur, imprudente comme une jeune étourdie à son premier enfant… n’ayant point sa mère pour l’arrêter dans le danger… malade et jalouse… jalouse, abandonnée… Et puis tout à coup aimée !…

Lionel fit par pitié, par générosité, le mal qu’un monstre n’aurait peut-être pas fait volontairement.

En vérité, c’était trop fort ; il y avait de quoi mourir.


XXVI.

UNE RÉSOLUTION.


— Madame est très-souffrante, dit Lionel à la femme de chambre qui venait d’aider madame de Marny à se mettre au lit… vous la veillerez. Il est inutile qu’elle le sache… mais qu’il y ait toujours quelqu’un d’éveillé cette nuit dans la maison.

Il était dix heures.

M. de Marny partit pour l’Opéra… Il était fort agité, presque joyeux… Il semblait qu’on venait de lui promettre un bonheur… mais non un de ces bonheurs suaves qu’on enferme en son cœur comme un trésor divin ; un bonheur qui épanouit la pensée, qui nous berce d’harmonie et d’encens… Non, c’était un bonheur coupable et agitant, une joie méchante qu’on se reproche et qu’on se cache, et qu’on aurait horreur de montrer… Lionel avait fait un effort de bonté… il était charitable avec conscience… Il n’aurait pas aidé, avancé d’une heure