Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/58

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balcon en face d’elle, de manière à pouvoir aussi contempler Valentine.

Il éprouva un sentiment de tristesse en revoyant mademoiselle d’Armilly, cette belle personne qui l’avait si cruellement puni de sa présomption de plaire ; et il se sentit une sorte d’aversion pour elle en remarquant les regards tendres et les coquetteries qu’elle adressait à ce même M. de Champléry, dont elle lui avait parlé avec tant de dédain, tandis qu’elle employait toute son adresse à se faire épouser de lui. Ensuite ses yeux tombèrent sur Stéphanie, puis sur Valentine, et il pensa qu’il était singulier de voir ainsi réunies dans le même lieu ces trois femmes, les seules qui depuis son séjour à Paris eussent préoccupé son cœur. Les autres n’avaient été pour lui que des caprices, et nulle idée d’avenir n’était venue troubler les plaisirs du présent. Mais Stéphanie ! mais Valentine !… elle qu’il ne connaissait pas, de quel droit avait-elle si vivement occupé sa pensée ?

Cependant ce soir-là elle avait perdu de sa puissance, et Edgar éprouva un plaisir auquel le dépit n’était pas étranger en s’avouant qu’elle semblait la moins belle des trois. Bientôt ce dépit augmenta, car il la vit tout à coup s’animer et causer avec M. Narvaux d’un air de bienveillance et presque de coquetterie qui acheva de l’irriter. Il croyait entendre encore tout le mal que M. Narvaux avait dit d’elle, et la fausseté de l’un, la duperie de l’autre le révoltaient également. Cela est cependant fort commun dans le monde : l’homme qui médit le plus d’une femme parce que la supériorité de son esprit l’humilie est souvent celui qui apprécie le plus son suffrage, et qui fait le plus de frais pour l’obtenir ; et cela, il le fait sans trop de fausseté.

Si Edgar avait eu son talisman, il eût été moins sévère pour Valentine ; Edgar aurait vu qu’elle ne s’était animée ainsi en parlant à un autre que parce qu’elle s’était aperçue qu’il la regardait ; de près, ce regard l’embarrassait ; de loin, ce regard lui donnait la vie ; c’est pour Edgar qu’elle s’était ranimée, et toutes ses paroles, qu’il ne pouvait entendre, s’adressaient à lui.

Il y a des femmes que l’embarras embellit, et d’autres qu’il