Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/61

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Cette femme, qu’Edgar ne pouvait voir, devait être jolie ; d’abord elle avait les attitudes à la fois nobles et paresseuses d’une personne qui se sait agréable et qui n’a pas besoin de s’observer pour être bien ; de plus, elle parlait de la beauté des autres femmes avec justice, sans envie, et comme ayant une part dont elle se contentait. Sa mise était celle d’une élégante : la jolie petite capote de moire blanche, qui seule se distinguait dans l’obscurité, cachait entièrement son visage ; mais ses mouvements gracieux, la manière indolente dont elle s’enveloppait dans son grand châle, sans égard pour ses manches garnies de dentelles qu’elle chiffonnait impitoyablement, toute cette nonchalance lui donnait un air de petite-maîtresse parfaitement en harmonie avec la grâce et le laisser aller de son esprit.

Edgar attendait avec impatience que l’on rentrât dans le salon pour voir cette beauté mystérieuse qui piquait si vivement sa curiosité. Il aurait bien voulu demander son nom, mais il ne l’osait déjà plus ; car cette femme, qu’il était sûr de n’avoir jamais rencontrée, lui parlait comme à une ancienne connaissance, et l’on se serait moqué de lui s’il avait paru ignorer qui elle était.

Enfin, la maîtresse de la maison eut froid ; elle prétendit que le brouillard tombait et qu’il fallait retourner dans le salon. Chacun se leva, les femmes passèrent les premières, M. de Lorville les suivit avec empressement ; mais lorsqu’il chercha parmi elles la petite capote blanche qui seule l’occupait, elle avait disparu. On entendit le bruit d’une voiture qui sortait de la cour de l’hôtel, et la maîtresse de la maison revint en disant :

— Elle nous a quittés ce soir de bien bonne heure.

— Qu’elle est aimable ! dit un homme qui se trouvait là ; il est impossible d’avoir plus d’esprit.

Ensuite on parla d’autre chose ; et Edgar, plein de dépit, n’osant, par orgueil, paraître ignorer le nom d’une dont la réputation d’esprit paraissait si bien établie, se retira encore plus irrité que la veille, et convaincu que le destin le condamnait à ne jamais aimer, puisqu’il se plaisait ainsi à le déconcerter dans toutes ses espérances d’amour.