Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/62

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XII.

Le lendemain, à sept heures du soir, presque toutes les personnes qui devaient dîner chez madame de Fontvenel étaient arrivées ; on n’attendait plus que le vieux général et M. de Lorville.

— Avez-vous bien rappelé à Edgar que nous comptions sur lui aujourd’hui ? dit madame de Fonvenel à son fils ; il est capable de nous avoir oubliés ; il a toujours tant d’invitations !

— Qui, M. de Lorville ? demanda le jeune officier qui devait épouser Stéphanie ; je réponds qu’il va venir ; je l’ai vu hier et je l’attends ici pour lui dire qu’il a gagné son pari.

— Quel pari ? demanda M. de Fontvenel.

— Oh ! c’est la chose du monde la plus étrange ! ce Lorville est un sorcier…

Chacun se rapprocha du jeune officier, et il fut accablé de questions. Valentine seule ne disait rien, mais elle n’était pas la moins attentive.

« Nous étions tous deux hier au café de Paris, dit l’officier, assis à table près d’une fenêtre, attendant qu’on apportât notre dîner ; moi, je lisais le Journal des Débats, tandis que M. de Lorville s’amusait à lorgner les passants sur le boulevard. De temps en temps, je le voyais se cacher pour rire ; d’autres fois, rire franchement et de si bon cœur, que sa gaieté me gagnait sans que j’y pusse rien comprendre. À la fin, impatienté, je le priai de me faire part de son hilarité, en lui demandant ce qui l’excitait.

» — Rien… dit-il ; c’est que je vois passer des figures si plaisantes… et puis, je me demande où vont tous ces gens-là, je cherche à le deviner à leur allure, et il me passe par la tête des idées si singulières que…

Et alors il se prit à rire de nouveau.

» — Ce travail ne me paraît pas bien difficile, répondis-je ; par exemple, il est aisé de deviner que ces deux femmes qui courent si vite avec une lorgnette à la main vont à l’Opéra, aux quatrièmes loges même ; et que ce monsieur, qui marche le nez