Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/70

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— Mon père, continua M. de Lorville d’un accent pénétré, était un des meilleurs amis de…

— De ma mère, dit vivement Valentine, je le sais. Je me rappelle l’avoir vu souvent chez elle dans mon enfance ; mais j’ignorais qu’il eût un fils.

— Elle le savait bien, elle, reprit Edgar, et plus d’une fois…

Il s’arrêta, comme s’il eût craint d’en trop dire ; mais le son de sa voix, ses regards et tout dans l’expression de son visage achevèrent d’insinuer une idée qu’il n’osait articuler.

Il était probable que la mère de Valentine, liée depuis longtemps avec le duc de Lorville, avait rêvé entre leurs enfants un mariage qui devait resserrer leur amitié ; mais Edgar n’en savait rien, et s’il le laissait croire à Valentine, c’est qu’il savait à quel point cette croyance devait agir en sa faveur.

Personne n’excellait autant que lui dans ce charlatanisme délicat des gens habiles, qui consiste à insinuer une idée qui leur est avantageuse, sans se compromettre en l’exprimant ; ils seraient incapables d’un mensonge, mais ils savent profiter d’une erreur. Et comment aurions-nous le courage de détruire une illusion qui nous sert ?

Edgar n’avait pas encore le secret de madame de Champléry ; mais il connaissait déjà les faiblesses de son cœur. Cette jeune femme, si maussade auprès de sa belle-mère, loin d’elle retrouvait toute la grâce de son esprit. Le souvenir de sa mère l’agitait encore au sein des plaisirs du monde : donc, pour lui plaire, il fallait médire de l’une et regretter l’autre ; et M. de Lorville, armé de ce moyen si simple, se croyait assuré du succès.

Edgar et Valentine avaient déjà ressenti plus d’émotion dans cette soirée que Stéphanie et son jeune prétendu n’en avaient éprouvé depuis deux ans qu’ils s’aimaient. Quelle différence entre ces agitations d’un amour naissant, irrité par l’esprit, allumé par une imagination brillante, et ce sentiment doux et sans trouble, cet espoir patient d’un bonheur certain, cette tendresse insouciante d’un amour qui n’est contrarié par aucun obstacle ?

Depuis qu’Edgar avait découvert que madame de Champléry