Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/71

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était cette même femme qui l’avait charmé quelques jours auparavant, elle avait recouvré tout son empire sur lui ; et la joie d’Edgar fut bien grande lorsqu’en le reconduisant, M. de Fontvenel, qui les avait observés tous deux pendant la soirée, lui dit avec dépit :

— Je ne sais, mon cher, si elle avait un secret ; mais je crains que bientôt elle n’en ait deux.

— De la jalousie déjà ! pensa Edgar.

Et il avait raison de se réjouir : rien n’est plus encourageant pour plaire que la prompte jalousie qu’on inspire.


XIV.

Le duc de Lorville pressait vivement son fils unique de se marier. Edgar, désenchanté du monde qu’il connaissait trop bien, éprouvait lui-même le désir d’une vie d’intérieur et d’affection, le besoin d’avoir un chez-soi où il fût certain d’être attendu avec impatience et toujours reçu avec plaisir : préoccupé de ce vague projet et d’un choix encore plus vague, il désirait faire l’acquisition d’une maison à Paris, et s’y établissait d’avance en idée avec la femme qu’il rêvait. Un matin, il se rendit rue du Bac pour voir, dans tous ses détails, une grande et belle maison qui était depuis longtemps à vendre. Ce n’était pas l’hôtel qu’il eût voulu, mais, avant de se décider, il étudiait les avantages du quartier et les prix du terrain. Il était onze heures, et à cette heure intime de la matinée, pour de paisibles locataires, rien n’est plus gênant que la visite inattendue d’un acquéreur prétendant, qui, sous prétexte d’acheter une maison qu’il n’a pas toujours de quoi payer, vient les déranger dans leurs occupations de ménage ou d’affaires, vient observer leurs mœurs, leurs habitudes, et quelquefois surprendre leurs secrets. Heure propice aux querelles de famille, où la mère gronde ses enfants et ses domestiques, où le mari gronde sa femme, son secrétaire ou son commis ; heure fatale où se vérifient les mémoires, où se déclarent les projets d’économie, où se décident les visites ennuyeuses qu’on fera le soir, où s’accomplissent enfin les