Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/72

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devoirs les plus fatigants, même pour une coquette : essayer une robe et répondre à un billet !

À peine M. de Lorville, accompagné du vendeur, M. Renaud, fut-il entré dans l’antichambre du rez-de-chaussée, la rumeur causée par son arrivée se fit sentir non-seulement dans l’appartement où le propriétaire s’était fait annoncer, mais encore dans tous les étages supérieurs. Ce mot magique : « Voilà un monsieur qui vient voir la maison ! » suffit pour jeter l’alarme dans tous les ménages ; ce cri d’effroi s’éleva rapidement du rez-de-chaussée au premier, du premier au second, du second au troisième, du troisième au quatrième ; là, il se perdit dans un réduit modeste et laborieux, où la vie commence avec le jour, et où cette heure effrayante, cette heure si matinale pour tout le reste de la maison, est l’heure convenable pour les visites du matin.

Les habitants du rez-de-chaussée étaient à déjeuner lorsqu’on les prévint de l’arrivée de M. de Lorville. Ils parlaient tous très-haut et à la fois, comme des gens qui se querellent, mais soudain les voix s’adoucirent et le plus grand silence succéda à ces clameurs de famille.

Edgar et M. Renaud passèrent dans le salon, où on les pria d’attendre un moment.

— Cet appartement est considérable, comme vous le voyez, dit le propriétaire ; il est loué au marquis de Châteaulancy, pair de France ; il y a fait beaucoup de dépenses l’année dernière, et y donnait des fêtes admirables. Trois cents personnes peuvent tenir ici sans être foulées ; mais maintenant il boude, il ne veut plus donner de bals, sous prétexte que les glorieuses l’ont ruiné. Il met des lits dans tous mes salons pour coucher ses enfants qu’il a retirés du collège. C’est un carliste ; voyez plutôt, on le reconnaît à son journal.

Et il montrait la Gazette de France ouverte sur la table.

— En effet, reprit M. de Lorville, voici sur cette console un buste bien courageux.

En ce moment, le marquis entra ; il était pâle comme un homme qui vient de se mettre en colère, mais gracieux et poli comme un homme qui sait se contraindre.