Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/79

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Si Edgar avait pu voir les traits du jeune auteur, il aurait pris plaisir à suivre sur sa physionomie, à l’aide de son talisman, toutes les aventures de son idée ; à la voir grandir et retomber, reparaître, pour être encore repoussée ; puis se soutenir à la surface comme un nageur sur l’eau, s’avancer audacieusement, se débattre contre les objections comme ce dernier contre les vagues, s’agiter, lutter avec courage, puis enfin arriver au bord, là se bien secouer, se bien sécher, et découvrir… une île déserte !

M. de Lorville se serait complu dans cette observation, mais elle était en ce moment impossible ; il lui fallut s’avancer davantage vers le jeune écrivain pour lire dans ses yeux s’il méritait qu’on s’inquiétât de sa pensée.


XVI.

— Je crains de vous déranger, monsieur, dit Edgar au journaliste, qui se retourna brusquement ; je vois que vous êtes occupé.

— Non, monsieur, je ne faisais rien ; je pensais.

Il appelait cela rien. Edgar voyant que son hôte était de mauvaise humeur, commençait à se repentir de cette visite et songeait à l’abréger.

— Je désire, monsieur, dit-il, savoir quel est…

— L’auteur de l’article contre la pièce nouvelle ? C’est moi, monsieur ; je m’attendais à votre visite, elle ne pouvait venir plus à propos.

Edgar sourit de l’interprétation qu’on donnait à sa visite, et répondit :

— Je ne viens point vous chercher querelle, monsieur, je ne suis point un offensé qui demande raison ; je venais seulement voir cette maison, dans le dessein de l’acheter ; mais si vous tenez absolument à avoir une affaire ce matin, je puis vous rendre ce service.

Le journaliste sourit à son tour de cette réponse. La gaieté de M. de Lorville lui ayant inspiré de la confiance, il le pria de s’asseoir un moment près de lui, et la conversation s’engagea.