Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/78

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qu’elle prit de l’appeler sept fois monsieur le duc, pendant l’espace de dix minutes.

Il arriva bientôt au quatrième, devant la porte du journaliste, et resta un moment à réfléchir avant d’entrer, cherchant une manière facile d’engager la conversation et de prolonger sa visite. Comme il était là, immobile et hésitant, la porte s’ouvrit, un enfant de dix ans, coiffé d’un bonnet de papier et tenant un rouleau d’épreuves, sortit alors brusquement ; M. de Lorville l’arrêtant, lui demanda si le journaliste était chez lui : Yes ! répondit l’enfant d’un air effronté, charmé de savoir un mot d’une langue étrangère ; puis, enfourchant la rampe de l’escalier, le petit garçon imprimeur le descendit en chantant la Parisienne, et en faisant le plus de bruit qu’il lui fut possible.

L’enfant ayant laissé toutes les portes ouvertes en s’en allant, M. de Lorville entra sans crainte d’être remarqué, et jeta un coup d’œil sur une suite d’appartements dont il commençait à connaître parfaitement la disposition. La salle à manger était tapissée de gravures et de lithographies ; le salon, qui servait de bibliothèque, était encombré de livres ; la table était inondée de journaux ; on y voyait un buste de l’empereur, plusieurs portraits d’auteurs illustres : ceux de M. de Chateaubriand, de madame de Staël, de M. de Lamartine, de M. Victor Hugo. On remarquait çà et là des tableaux précieux, qui auraient été admirés dans la plus belle galerie et prouvaient que l’habitant de ce modeste réduit avait pour amis nos artistes les plus célèbres.

En s’approchant, Edgar aperçut dans la chambre à coucher deux épées suspendues au mur, des poignards, des flèches, des armes de différents pays ; il s’approcha encore et vit, assis devant un bureau, un jeune homme qui paraissait plongé dans une profonde méditation ou dans un grand désespoir. Plusieurs dictionnaires, plusieurs livres d’histoire, que l’on reconnaissait à leur pesante forme, étaient ouverts sur la table autour de lui et annonçaient qu’il travaillait à un de ces longs ouvrages qui exigent des recherches. Le jeune écrivain se frappait le front de temps en temps avec impatience, et M. de Lorville s’amusait à contempler cet homme d’esprit en travail d’une phrase et aux prises avec sa pensée.