Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/82

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distinguer, nous choisir, pour deviner nos facultés, les exalter, pour nous distribuer les affaires à chacun selon nos talents, pour comprendre nos idées, pour concevoir nos plans et les exécuter ; un homme habile qui sût faire, comme lui, un grand général d’un paysan qui ne sait pas lire, et reconnaître un sage administrateur dans un homme de vingt-cinq ans, nous ne serions pas réduits, nous autres de la jeune France, à vivre de taquineries et d’injures, à risquer chaque jour, sans gloire, notre liberté et notre vie, à nous faire enfermer pour nos opinions, à nous battre pour nos écrits, à traîner enfin une existence misérable entre le bois de Boulogne et Sainte-Pélagie ! Vous ne savez pas, monsieur, quel supplice c’est pour un jeune homme sans protecteur et sans fortune que d’avoir des idées abondantes, fertiles, ingénieuses ; de les sentir faciles, de les voir lumineuses, et de ne pouvoir les faire comprendre à ceux qui auraient la puissance de les exécuter ! Les moyens qu’on sent en soi sont des remords, quand on ne peut les employer ; la capacité de l’esprit est un tourment, un poison, un feu qui dévore, quand elle est inactive ! Hélas ! j’en conviens, monsieur, cette jeunesse oisive et turbulente sera funeste au pays. Mais à qui la faute ? n’est-elle pas à ceux qui devraient nous diriger ? On nous calomnie, parce qu’on ne sait pas nous conduire ; on nous appelle révolutionnaires, buveurs de sang, petits Robespierres, et nous ne sommes que des ambitieux ! Si nous rêvons la république, c’est qu’avec elle on a la guerre, avec la guerre on a la gloire, avec la gloire la fortune ! Au lieu de s’épouvanter de nos rêves, qu’on nous donne des espérances ; au lieu d’irriter notre ardeur, de la tourner en démence dangereuse, qu’on en fasse de l’héroïsme ! rien n’est plus facile. La jeune France est comme ces jeunes coursiers, fatigués d’un long repos, qui mordent le frein, écument, bondissent, renversent le cavalier inhabile, le foulent aux pieds, l’écrasent ; mais qui, dirigés par une main sûre, arriveraient au but les premiers, et gagneraient le prix à la course. Oh ! si j’avais seulement un peu de gloire, un peu de fortune ; si je pouvais dire Faites cela ! au lieu de dire : L’approuvez-vous ? rien ne m’arrêterait dans ma carrière, je braverais tous les obstacles, je franchirais tous