Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/87

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C’est quelques instants après cette conversation que Valentine était venue chez madame de Montbert, brillante de la plus belle des parures, l’espoir d’être aimée.

Edgar parut bientôt aussi heureux qu’elle, en devinant sa pensée. Et n’est-ce pas être deux fois heureux que de devoir à son ami la tendresse de ce qu’on aime ?

— Vous venez de chez madame de Fontvenel ? dit Edgar en s’approchant de Valentine.

Elle parut troublée à ce nom, comme s’il avait signifié : « Je sais ce qu’on vient de vous dire. »

En effet, c’était un peu cela.

— Oui, je l’ai vue ce soir, répondit madame de Champléry.

Et fuyant l’embarras d’une émotion, elle s’éloigna précipitamment ; et dans son trouble, elle alla s’asseoir auprès d’une de ces femmes ennuyeuses, toujours solitaires ou errantes, auxquelles on ne parle que l’hiver, lorsqu’elles vont donner un bal, et qui toute l’année restent dans un abandon désespérant.

L’amour a de singulières terreurs, de pénibles caprices ; lui seul, dans ses bizarreries, pouvait inspirer à Valentine l’idée de préférer la conversation de cette femme sans esprit qu’elle connaissait à peine, qu’elle évitait toujours, à celle d’un homme charmant et qu’elle aimait. Qu’elle est étrange, cette passion dont le premier mouvement est de fuir ce qu’elle cherche, et le second de regretter ce qu’elle a fui !

À peine Valentine eut-elle reconnu auprès de qui elle était venue se placer dans sa distraction, qu’elle comprit toute l’étendue de son imprudence. Rester toute une soirée confinée dans un coin du salon avec une personne désagréable, c’était un avenir effrayant ; elle craignit aussi d’avoir offensé M. de Lorville en le quittant si brusquement, et elle leva les yeux sur lui pour voir s’il était fâché ; mais la joie qui brillait dans les traits d’Edgar la rassura bientôt, et même elle l’irrita :

« Tous les hommes sont fats, pensa-t-elle ; il croit, j’en suis sûre, que je l’évite parce que j’ai peur de l’aimer ! »

Et puis elle se mit à rire de son orgueil, en disant :

« Eh bien ! s’il croit cela, n’a-t-il pas raison ? »