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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Les spectacles et les promenades, voilà ce qui occupe la capitale en ce moment. Dieu merci, les courses sont terminées ; la dernière n’était point brillante : toujours les mêmes femmes, toujours les mêmes chevaux ; et puis toujours ce même et ennuyeux incident, ce cheval forcé de courir tout seul ; et l’on vous condamne à regarder niaisement ce lutteur sans adversaire, ce triomphateur sans rival. Depuis longtemps le solo équestre nous a paru la plus ingénieuse des mystifications. Bref, tout cela était médiocre et faisait dire aux mauvais plaisants que cette pauvre Société d’encouragement était toute découragée.

On prétend que Paris est ennuyeux ; il nous semble au contraire fort agréable à habiter en ce moment : on n’y connaît personne, c’est la province qui le peuple. On s’y trouve comme en voyage pour l’indépendance, et l’on y est à l’aise en sa demeure pour toutes les nonchalances de la vie. Quand on étudie Paris dans cette saison, on l’aime, car on n’y rencontre que des personnes qui l’admirent ; c’est une population de badauds émus qui fait plaisir à regarder : badauds d’outre-mer, badauds d’outre-monts, badauds d’outre-Rhin, excepté pourtant badauds d’outre-tombe, comme dirait M. le vicomte de Chateaubriand, et encore ne jurerions-nous, pas que dans le nombre il ne se soit glissé quelqu’un de ces derniers.

Enfin Paris se renouvelle pour quelque temps ; le monde y est plus bienveillant ; les gens blasés en sont partis, les ennuyés l’ont déserté. L’air semble plus léger, l’espace est plus libre. Un ennuyé prend tant de place ! sa présence rend l’atmosphère si pesante ! il absorbe tant d’air vital quand il soupire et quand il bâille ! Maintenant l’ennuyé est absent, il chasse avec l’ennuyeux, qui lui raconte son gibier, et tous deux médisent de Paris, que leur absence rend aimable. Comme ils ont de la vanité, ils envoient leur gibier à Paris, et ils restent à la campagne tous les deux, l’ennuyé et l’ennuyeux. — Oh ! l’automne est une belle saison pour Paris ! — Les théâtres renaissent, le public rajeunit ; ce n’est plus ce parterre usé et jugeur de l’hiver, ce public hostile, ce tyran jaloux de ceux qu’il paye pour l’amuser, que tout scandalise, et que rien n’enflamme ; ce public saturé de plaisir, grandi dans les corridors de théâtre ;