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LETTRES PARISIENNES (1836).

ce vieux bellâtre de foyer, qui n’ose sourire parce qu’il n’a plus de dents ; cette vieille coquette de galeries, qui ne veut point pleurer, de peur de sillonner son rouge. — C’est un public naïf, joyeux et dispos, à la fois juge et complice, qui vous aide franchement à le faire rire, qui vous entraîne à l’émouvoir ; un public bon enfant, qui ne se formalise pas de ce qu’on l’amuse ; un public enfin qui croit au plaisir.

Aussi l’on se dépêche de lui offrir toutes les nouveautés de l’année, comme un plaideur se hâte de faire venir sa cause quand le président du tribunal est son ami.

L’Opéra presse les répétitions de l’ouvrage de M. Victor Hugo et de mademoiselle Bertin.

Plusieurs morceaux de la musique sont déjà cités avec éloge. Les uns disent : Vraiment, c’est fort beau ! — Et l’on répond : Je le crois, c’est de Berlioz. Les autres s’écrient : La musique est admirable ! — On leur répond : Sans doute, elle est de Rossini.

À quoi nous répliquons cela :

Si la musique est mauvaise, elle est de M. Berlioz ; si elle est bonne, elle est de Rossini. Si elle est admirable, comme on le dit, elle sera de mademoiselle Bertin.

Et voici comment nous nous expliquerions :

Si M. Berlioz a fait la musique d’Esméralda, comme il n’entre pour lui aucun espoir de vanité dans ce travail, il l’aura fait avec négligence ; et toutes les belles idées qu’il a, il les aura gardées pour lui.

Si la musique est de Rossini, elle sera bonne, parce que les négligences de Rossini sont encore des beautés.

Enfin, si la musique est admirable, elle est de mademoiselle Bertin elle-même, en dépit de tous les teinturiers qu’on lui prête ; car nous ne connaissons pas un seul auteur assez fou pour donner sottement ses chefs-d’œuvre aux autres.

Les riches d’esprit ne sont pas plus généreux que les riches d’argent, et quelle que soit la puissance d’un journal, nous ne croyons pas qu’elle aille jamais jusqu’à obtenir d’un grand compositeur l’aumône de son génie.

En fait de nouveautés, le Théâtre-Français nous a offert Tartufe et les Jeux de l’Amour et du Hasard, joués par