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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Deux années ! c’est bien long ! et quelles années, mon Dieu ! les plus belles, les plus fleuries, les plus fécondes ; les condamnés politiques étaient presque tous des jeunes gens de vingt-deux à vingt-six ans ; et passer sa vingt-cinquième année en prison, n’est-ce pas un chagrin, un regret de tous les jours ? Cette année est si sacrée, si importante, si décisive, elle contient l’avenir ! Les soins de la famille, les soucis, les ardeurs de l’étude, voilà son passé, c’est la jeunesse dans toute sa force, dans toute sa grâce, dans toute sa poésie. Perdre cette année-là dans un cachot, c’est avoir été prisonnier dix ans ; c’est avoir manqué la plus belle fête de la vie ; c’est avoir subi une cruelle pénitence ! Oh ! nous ne dirons pas au gouvernement ce que lui disent quelques vieux Minos politiques, qu’il est trop indulgent ; nous lui dirons qu’il est généreux après avoir été sévère, et que sa clémence ressemble à celle des femmes, qui ne pardonnent jamais qu’après avoir puni.


LETTRE ONZIÈME.

Malveillance des Parisiens contre le printemps. — Le rossignol n’est qu’un gazouilleur périodique. — Les journalistes et les salons. — Un véritable poëte n’est pas responsable de ses inspirations.
24 mai 1837.

À Paris, les esprits sont généralement très-montés contre le printemps, on est fort mécontent de lui ; les plaintes ne tarissent pas ; nous lui conseillons cependant d’affronter courageusement la malveillance : chez nous c’est un moyen certain de la faire cesser. Le monde appartient aux esprits courageux ; après un éclat, si vous vous cachez, vous êtes perdu ; si au contraire, au fort du scandale, vous vous montrez, — si vous entrez bravement dans un salon au moment où l’on dit du mal de vous, soudain la fureur se calme, votre audace est une preuve d’innocence, votre présence répond à tout ; c’est pourquoi nous engageons le printemps à ne pas s’effrayer de la colère parisienne, sa présence détruira toutes nos préventions ; qu’on le voie, qu’on le sente, et ses torts seront oubliés ; qu’il vienne enfin, et on lui pardonnera de n’être pas venu ; à lui seul peut s’appliquer ce vieux proverbe : « Vaut mieux tard que