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LETTRES PARISIENNES (1837).

jamais. » À lui seul !… Pour tout le reste, nous avons adopté celui d’Alphonse Karr, qui nous paraît beaucoup plus juste : « Vaut mieux jamais que tard. »

On nous écrit de la campagne que le rossignol chante déjà. Pauvre Philomèle ! quelle exactitude ! Qui a pu l’engager à venir ? Point de feuilles et pas de fleurs ! Chantre de poésie et d’amour, es-tu donc l’esclave d’une date ? As-tu donc consulté l’almanach de 1837 pour savoir si l’heure de la tendresse a sonné ? Millevoye avait-il tort de dire :

Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix ?…

Ô rossignol inconvenant ! tu n’as donc plus besoin de mystère pour aimer ? Tu n’attends pas que l’ombre du feuillage vienne protéger ton bonheur ; tu n’attends pas que le parfum des fleurs vienne t’inspirer ; tu n’attends même pas que les mortels frileux puissent aller t’admirer… Tu aimes sans mystère et tu chantes sans gloire ! tu aimes à jour fixe, comme un nouveau marié ; tu chantes à l’heure précise, comme un improvisateur de bouts-rimés. Ce n’est pas le printemps, l’azur du ciel, la verdure des prés, la fraîcheur des eaux, le réveil des fleurs, qui te fait amant et poète ; c’est le calendrier. Tu as dit : Le 15 mai, à huit heures vingt-cinq minutes du soir, je choisirai une compagne et je chanterai mes amours ; le 15 mai, à huit heures vingt-cinq minutes du soir, tu as chanté tes amours. Malheureux ! c’est bien la peine d’être rossignol, pour être contraint à l’exactitude comme un journaliste ou un conducteur de diligence ! Avoir des ailes et n’être pas indépendant, et n’avoir pas le droit de rejoindre le soleil là où il s’oublie : ô rossignol, tu n’es plus fils du printemps ! Philomèle, vous avez beaucoup perdu cette année dans notre opinion !

Pendant que les hommes politiques se donnent entre eux de petites soirées parlementaires, les femmes vont au spectacle ; la salle de l’Opéra offre un aspect réjouissant. Les mantelets roses et blancs sont moins tristes à l’œil que ne l’étaient cet hiver les manteaux de velours noir ; puis le chapeau de paille, orné de fleurs, donne à toutes les femmes, jeunes et vieilles, un certain air de bergerettes qui n’est pas sans grâce ; il rem-