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LETTRES PARISIENNES (1837).

LETTRE QUINZIÈME.

Invocation à la liberté. — Versailles sauvé des rats et des députés. —
Tournoi de Tivoli. — Modes.
21 juin 1837.

Ah ! quel bonheur d’être libre, libre de la plus belle de toutes les libertés, celle de la pensée ; de ne porter la chaîne d’aucun parti, d’être indépendant du pouvoir, et de n’avoir fait aucune alliance avec ses ennemis ; de n’avoir à défendre ni la sottise des uns, ni la mauvaise foi des autres ; de n’être responsable des actions de personne, de pouvoir agir en son nom et pour soi ; de ne rendre compte qu’à Dieu seul de sa vie ; de n’attendre d’avis que de sa conscience ; de se fier sans crainte à ce pur instinct de la vérité que le ciel a mis en nos cœurs, et que nous avons nommé la foi ; d’admirer sans se croire flatteur, d’être juste sans se croire généreux ; de chercher le bon côté de toutes les choses, comme l’abeille cherche le miel de toutes les fleurs ; de regarder avec un œil pur, d’écouter avec une oreille indépendante ; de voyager sans ordre, et de s’arrêter, selon sa fantaisie, là où le site est plus beau, là où le soleil est plus brillant ; de n’avoir pas besoin de demander à qui appartient un pays, pour savoir si l’on doit s’y plaire ; de n’avoir pas besoin de demander le nom d’un acteur, pour savoir s’il faut l’applaudir ; de retenir indifféremment tous les airs, s’ils sont harmonieux ; de s’enivrer impartialement de tous les parfums, de s’amuser de tous les esprits, de jouir de tous les talents, quelles que soient les couleurs dont ils se parent, d’honorer tous les courages, quelle que soit la bannière qu’ils défendent. Oh ! quel bonheur de n’être ni philippiste, ni légitimiste, ni doctrinaire, ni révolutionnaire ; de n’avoir pas de nom parmi les ambitieux vainqueurs ou mécontents, de n’avoir point de parrains politiques ; de n’avoir point de devoirs de convention ; de n’être forcé à aucune haine ; de n’être engagé dans aucun mensonge ; d’être libre enfin ! Car, messieurs, ceci est la seule, la véritable liberté ; non cette liberté qu’a chantée M. Auguste Barbier, cette grosse fille aux bras nerveux ; cette patronne des forçats, qui s’abreuve aux ruisseaux des rues ; cette envieuse révoltée, qui depuis quarante ans s’en va planter