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LE VICOMTE DE LAUNAY.

dans tous les faubourgs son vieil arbre vert sans racines, et son vieux bonnet de coton rouge sans mèche… non cette liberté querelleuse qu’on nomme liberté de la presse, cette bavarde menteuse qui n’écoute personne, et qui crie toujours pour qu’on n’entende qu’elle ; non, non : la nôtre n’est pas fille du peuple, elle est fille du ciel et nous vient de Dieu ; son front divin n’a pas le moindre bonnet de coton ; il porte une auréole, car la lumière est sa parure ; ses cheveux flottants ne sont retenus par aucun nœud, ils voltigent autour de sa tête comme un voile capricieux ; ses vêtements légers l’enveloppent sans être fixés par aucun lien ; elle est indépendante, non par la vigueur de son bras, mais par la vertu de ses ailes ; elle n’a point d’attributs déterminés, elle n’a point d’arbre obligé qu’il lui faille planter à toute force ; elle cueille chaque matin le rameau qui lui plaît, la fleur qu’elle désire ; quelquefois elle garde plusieurs jours de suite les mêmes, car elle est aussi libre de ne pas changer. Son âme est généreuse, pleine de franchise et de courage ; elle ne peut cacher ni son admiration ni son mépris ; son intelligence est infinie, elle parle toutes les langues, elle comprend toutes les sciences, elle excelle dans tous les arts, elle sait lire dans toutes les pensées… et pourtant c’est une jeune fille, simple, ignorante et chaste, car il n’est point d’indépendance sans pureté ; mais elle trouve sa force dans cette innocence même ; elle plane sur la montagne, sans se mêler au bruit de la vallée, elle traverse un monde corrompu, sans ternir l’éclat virginal de son immortelle beauté ; elle se conserve brillante au sein des ténèbres comme l’étoile au sein des nuages, comme la perle au fond des mers, comme la poésie au fond du cœur… Ô liberté charmante ! viens régner parmi nous, viens détrôner tes vieilles rivales qui nous ont fait perdre tant de sang et tant d’années ; viens, la France, pour être heureuse, n’attend que toi ! Pauvres gens que nous sommes, ou plutôt que vous êtes, vous avez réclamé à grands cris la liberté des individus, la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté du commerce ; et vous avez oublié la plus précieuse de toutes : la liberté de la pensée ! Sans celle-là les autres ne sont rien. Vous avez vendu d’avance toutes vos impressions, toutes vos idées ; votre admiration a un propriétaire