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LETTRES PARISIENNES (1836).

jamais avant le mois de janvier. — Cette année, elle prétend qu’elle est malade et vient consulter toute la Faculté de Paris. Si vous la voyiez, vous ne le croiriez pas ; elle est fraîche et jolie comme un ange ; elle se dit mourante pour revenir deux mois plus tôt, c’est ingénieux.

Voilà à peu près ce qu’on se dit, ce qui est assez insignifiant ; puis l’on se montre les robes, les niaiseries qu’on a rapportées de ses voyages ; on s’invente quelque aventure pendant la route ; on a toujours été à deux doigts d’un précipice quelconque ; on parle des gens aimables qu’on a rencontrés aux eaux, en France ou en Allemagne ; de Charles X, à qui l’on est allé rendre hommage en passant, que l’on a trouvé rajeuni ; de M. le duc de Bordeaux, qui se porte à merveille et qui embellit tous les ans. Remarquez bien ceci, les voyageuses seules sont de retour, les châtelaines sont immobiles, il n’est point question d’elles maintenant. On parle aussi des livres qui ont paru cet été ; les lecteurs en retard se font prêter toute une bibliothèque de romans nouveaux. On babille ainsi toute la soirée, ou bien l’on chante quelques romances, la Fuite, par madame Duchambge ; le Rêve, par mademoiselle Puget ; on joue au whist ou au reversi, puis à minuit on se sépare : c’est la vie de château à Paris.

Excepté les boulevards, que les provinciaux envahissent, les promenades publiques sont presque aussi inanimées que les salons ; l’aspect des Tuileries est triste ; les fleurs sont à demi cachées par les feuilles qui tombent : les femmes y sont laides et parées ; elles ont froid et ne veulent pas en convenir. Beaucoup d’Anglaises avec des chapeaux à trois ruches de tulle, tulle fané et languissant, tulle voyageur et plein de souvenirs, qui pleure encore le brouillard de la Tamise, qu’attriste encore le charbon de la cité ; ornement inutile qui forme autour du visage une neige grise qui n’est pas avantageuse. Ces Anglaises sont des Anglaises du troisième ordre, qu’un bateau à vapeur à bas prix transvase par flots sur le continent ; ce n’est pas encore la saison des jolies Anglaises au teint rose, aux cheveux flottants, qui viennent apprendre à nos femmes élégantes à être fraîches et jolies, et qui changent la rue de la Paix en une allée de Hyde-Park. Ô belles filles du Nord ! dans un mois