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LETTRES PARISIENNES (1837).

tête les pieds en l’air pendant un quart d’heure ; des chevaux qui ronflent ; des sauteurs qui tombent à chaque instant, qui recommencent le même tour d’adresse jusqu’à ce qu’ils l’aient manqué ; un grand nègre vêtu d’un peignoir de bain en percale blanche et coiffé de bandelettes d’or ; des polichinelles, des arlequins, toutes les vieilleries imaginables.

Puis, pour distraction, des loueuses de petits bancs qui vous poursuivent avec leur maudit petit banc avant même que vous ayez trouvé une place pour vous asseoir, si bien qu’un gros homme de province, qui entrait avec nous, s’imaginant qu’on lui offrait ce petit banc pour un siège, se mit dans une grande colère, disant que c’était se moquer de lui que de le forcer à s’asseoir là-dessus. Puis des gens qui viennent vous interrompre dans votre conversation pour vous offrir des éventails à quatre sous : toutes les tracasseries des plaisirs parisiens, sans les plaisirs. Voilà Franconi.

Tivoli est plus amusant : le tournoi s’est perfectionné, la valse a le plus grand succès ; les manœuvres sont jolies, mais elles durent trop longtemps.

Le reste de la soirée, on le passe à Tortoni ; on y va prendre des glaces sans sucre et respirer un air tout rempli de tabac ; et l’on rentre chez soi, et l’on soupire en songeant à ses amis qui sont à la campagne… et qui s’y ennuient ; mais au moins ils s’ennuient en bonne santé et en bon air, c’est quelque chose ; et puis ils se promènent : ici l’on ne peut plus se promener. Aux Tuileries, les enfants, les cerceaux, vous barrent le chemin ; sur les boulevards, des Turcs en blouse bleue vous empoisonnent de leurs parfums, sous prétexte de brûler de prétendues pastilles du sérail, et quel sérail, grand Dieu ! La promenade est impossible ; il y a peine de mort pour le flâneur ; l’omnibus et la dame blanche ont envahi la cité ; ils la traversent dans tous les sens ; on ne marche plus, on court ; chaque habitant de la ville insensée semble avoir derrière lui l’Euménide vengeresse qui le poursuit.

Qu’est-il devenu, cet être aimé des dieux, chéri du poëte, béni du pauvre, cet inconnu que chacun veut séduire, cet indifférent qui vous apporte l’espérance malgré lui, cet être indéfini que l’on appelle le passant ? Homme toujours aimable