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LETTRES PARISIENNES (1837).

Cet esprit d’indépendance française, qui consiste particulièrement à mépriser son métier et à s’affranchir de son devoir, nous fait frémir appliqué à ces inventions nouvelles qui exigent tant d’attention et de prudence ; il est à craindre que des employés qui vous font attendre trois quarts d’heure par négligence ne vous fassent sauter, un jour, en l’air par distraction ; et nous appelons sur cet oubli la surveillance de messieurs les directeurs. Il serait fâcheux de voir une si belle entreprise, exécutée à tant de frais, et si heureusement accomplie par des hommes de si grand mérite, compromise par la légèreté d’un sot ou par la négligence d’un paresseux. C’est déjà bien assez d’avoir affaire à des voyageurs imbéciles, qui n’auront pas de cesse qu’ils n’aient créé des dangers là où il n’y en a point.

Et la preuve que chacun méprise son métier, c’est la petite brochure qu’on vous vend à la porte du chemin de fer. Vous croyez y trouver l’histoire abrégée des chemins de fer, un récit bien simple, des noms, des dates, des mesures, des faits, et surtout peu de mots et pas un mot inutile ; il n’est pas permis d’allonger sa phrase en parlant d’un chemin qui raccourcit toutes les distances. Point du tout ; ce qu’on vous donne est un morceau littéraire, c’est de l’éloquence industrielle sur les chemins de fer. Ce n’est pas un ingénieur qui vous parle, c’est un homme de lettres. Interrogez-le : demandez-lui dans quel pays a été essayé le premier chemin de fer ; il vous parlera de l’obélisque de Luxor et de l’arc de triomphe de l’Étoile. Demande : « Quel est l’homme qui a construit le premier chemin de fer ? » Réponse : « C’est le mont Valérien qui se penche pour regarder cette tempête qui passe en voiture. » Bien ! « Combien y a-t-il de chemins de fer en Europe ? car maintenant il faut savoir ses chemins de fer comme on connaît ses fleuves. » Réponse : « Nanterre se choisit une rosière ; passez, maison blanche aux volets verts, rêve de Jean-Jacques ! » Êtes-vous satisfaits ? Si vous demandez à cet auteur : « Qui a inventé la vapeur ? » alors il fera bien mieux ; il vous répondra un mensonge ; il ne vous dira pas : « C’est Fulton ! » il vous dira que « c’est un vieillard, homme de génie, que le cardinal de Richelieu a fait enfermer comme fou à Bicêtre ; » et il vous