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LETTRES PARISIENNES (1837).

veuille croire, mais on tient à savoir qu’elles ont eu cours. L’habitant de la province aime à pouvoir dire de la chose même la plus absurde : « Il paraît qu’il a été question de cela à Paris. » Il réclame jusqu’aux erreurs de la grande ville ; il veut la suivre dans tous ses faux pas ; si Paris a une terreur panique, il ne veut pas qu’on la lui épargne ; si Paris porte sur un honnête homme un jugement indigne, il veut devenir son complice et prendre sa part des remords ; Paris a joui pendant un mois de telle ou telle calomnie, l’habitant de la province veut en jouir aussi ; il n’entend pas qu’on lui fasse tort d’un méchant bruit ; et si, dans votre justice, dans votre loyauté, dans votre respect pour lui-même, vous lui en faites grâce, il dit avec aigreur : « Eh bien, mon journal n’a point parlé de cela !… » Désormais donc, votre journal vous en parlera, mais à sa manière ; nous ne mentirons pas davantage pour cela ; nous vous dirons, puisque vous voulez tout savoir : « Voilà le mensonge d’hier. »

Nous revenons aussi avec cette découverte, que l’on ne connaît pas les femmes de Paris lorsqu’on ne les a pas vues à la campagne. Oh ! quelle différence ! quelle métamorphose ! et comme en général les Parisiennes gagnent à ce changement ! Telle femme prétentieuse, pédante ou minaudière, à Paris, vous semble insupportable…, dans son château, vous apparaît tout à coup comme la maîtresse de maison la plus gracieuse, la plus simple, la plus aimable. C’est qu’à Paris toutes les femmes jouent un rôle ; c’est que le besoin de produire de l’effet leur compose une seconde nature, qui détruit toute la noblesse de la première ; c’est que la vanité, à Paris, est stérile, tandis que la vanité, à la campagne, est féconde. À Paris, une femme ne songe qu’à briller, son orgueil n’est qu’égoïsme ; elle, toujours elle sur le premier plan ; sa pensée est d’être la plus belle, la plus entourée, la plus spirituelle, la plus riche, la première enfin, toujours la première ; et vous tous, vous ses enfants, vous son mari, vous sa sœur, vous sa mère, vous êtes sacrifiés à ce besoin d’effet, qui est le mobile de toutes les actions de sa vie. À la campagne, au contraire, sa vanité se repose, ou plutôt elle vous appartient ; ses prétentions, bien loin de vous être hostiles, vous deviennent favorables, car maintenant son