Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
LE VICOMTE DE LAUNAY.

orgueil, c’est vous, c’est votre bien-être, ce sont vos plaisirs ; elle s’occupe de vous du matin au soir ; elle vous est rendue tout entière ; plus de préoccupation mondaine, elle n’a plus qu’un rôle à jouer, celui de bonne maîtresse de maison, et ce rôle lui sied à merveille. Sa vanité est votre joie ; cette vanité qui vous séparait d’elle à Paris, là vous réunit à toutes les heures ; vous lui devez vos plus doux moments, et vous découvrez dans cette femme nouvelle mille qualités dont vous n’aviez aucune idée ; vous lui trouvez de l’esprit, et jusqu’alors vous aviez cru sincèrement qu’elle en manquait ; vous découvrez qu’elle est très-bonne musicienne, qu’elle chante bien : talent gracieux qu’une rivalité de famille lui fait modestement cacher. « Ma cousine a une si belle voix, dit-elle, que je n’ose jamais chanter quand elle est là. » Vous lui découvrez enfin deux petits enfants adorables que vous n’aviez jamais vus et qu’elle élève parfaitement. Cette femme si moqueuse, si médisante à Paris, dans son château est bienveillante pour tout le monde. Si l’on vient à parler d’une de ses amies absentes, elle en fera l’éloge, elle rendra justice à sa beauté. À Paris, elle en est envieuse, elle ne peut lui pardonner ses beaux cheveux, ses admirateurs et ses diamants ; à la campagne, elle l’aime, elle convient qu’elle est jolie, elle oublie ses succès qu’elle ne voit pas et ses diamants qui sont dans leur écrin ; elle lui écrit mille choses affectueuses, et elle est sincère. Ô prodige ! Qu’est-ce que cela prouve ? que l’air de Paris ne convient pas aux Parisiennes. La vanité et l’envie composent l’atmosphère ici, et cela suffit pour corrompre les plus belles natures. Les hommes subissent moins que les femmes cette fatale influence. — Les hommes se croient tous charmants ; cela les préserve d’être envieux, ou du moins cela fait qu’ils sont envieux d’une autre manière ; il leur faut un sujet d’envie : ils se brouillent avec leur ami quand il obtient un grand succès, sans doute ; mais encore faut-il qu’il obtienne un succès ; ils ne le haïssent pas sans raison : tant qu’un événement n’est pas venu leur révéler leur propre infériorité, ils se croient parfaits, au-dessus de tout, et ils vivent tranquilles. Les femmes sont plus modestes ; elles ont plus le temps de s’observer ; elles s’aveuglent moins sur elles-mêmes ; et dès leur entrée dans le monde, elles éprou-