Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
LE VICOMTE DE LAUNAY.

chambre et du portier de la maison ; c’était l’amphithéâtre de la salle. À une fenêtre de la rue Royale, on apercevait la comtesse de Lipano, qui se cachait comme dans une loge grillée ; nous n’avons reconnu personne dans le paradis. La représentation a duré quatre heures. Dans les entr’actes, un orchestre militaire se faisait entendre. Puis, dans la foule immobile, on apercevait un cercle d’hommes qui tournaient. Le cabestan ! le cabestan ! disaient toutes les voix, et l’obélisque recommençait à s’élever doucement.

Le dernier entr’acte fut le plus long ; on entendit des coups de marteau, comme on en entend derrière la toile lorsqu’on place une décoration importante à l’Opéra. Enfin la pièce a réussi. Elle a été vivement applaudie. Sérieusement tout le monde a battu des mains quand l’obélisque s’est assis sur sa base, et l’orchestre a joué le grand duo des Puritains ; c’était un bruit charmant à entendre que ces faibles applaudissements de deux cent mille personnes qui se perdaient dans l’immensité de la salle. Malgré ce brillant succès, les jeunes spectateurs à idées nouvelles parlaient toujours avec amertume des quatre millions de la mise en scène. Ils se demandaient si la vue du monolithe superbe valait cela. Les autres étaient plus indulgents, grâce à leurs souvenirs ; ils se rappelaient d’avoir vu, sur ce même théâtre, une représentation qui avait coûté plus cher à la France ; un drame sanglant et terrible dont l’image leur serrait le cœur. Il leur tardait que cet échafaud fût détruit, ils avouaient que depuis que cet appareil de machines attristait leurs yeux, ils ne pouvaient traverser la place Louis XV sans horreur ; et ils savaient bon gré à ce monument âgé de trois mille ans d’avoir quitté les sables de l’Égypte pour venir effacer leurs affreux souvenirs. Là nouvelle du jour était que le roi n’avait point été assassiné, et l’on disait cela devant la femme de Murat, la veuve du roi fusillé, et tout cela se disait sur la place de la Révolution, où tomba la tête du roi guillotiné ; et songeant à cela, nous qui ne sommes d’aucun parti, nous avons fait comme le peuple, nous avons crié Vive le roi ! car notre cœur est généreux, et nous avons pitié des trônes. La famille royale a été accueillie à son passage par les plus vives acclamations. Les princesses étaient dans le fond de la voiture, le