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LETTRES PARISIENNES (1836).

apprécier aussi la véracité des journaux. Il y a quelques jours, un des plus francs moqueurs entre les journalistes, spirituel et barbare s’il en fut, rencontra chez un jeune député de ses amis M. Vatout, qu’il avait longtemps poursuivi de ses épigrammes, mais qu’il ne connaissait point. La conversation était fort animée ; les questions étaient fort importantes, et chacun, par la sympathie des idées, se trouvait entraîné à dire sa pensée avec une franchise dont il était surpris. C’était une de ces conversations où les hommes se jugent, tant par ce qu’ils osent dire que par ce qu’ils ne disent pas. Après une grande heure, M. Vatout se retira. À peine avait-il fermé la porte : — Voilà, ma foi, un homme qui me plaît ! s’écria le journaliste ; toutes ses idées sont les miennes. C’est un homme d’esprit. Comment l’appelez-vous ? — C’est M. Vatout. — Quoi ! c’est là Vatout sur qui j’ai dit tant de folies ! — Et le journaliste se mit à rire, et puis il ajouta finement : — Eh bien, ce n’est pas du tout comme cela que je me le serais figuré d’après le portrait… que j’ai fait de lui.


LETTRE TROISIÈME.

L’obélisque de Louqsor.
27 octobre 1836.

Vraiment, c’était un beau spectacle que cette place immense remplie de monde, que cette longue terrasse des Tuileries couverte de monde, que cette longue allée des Champs-Elysées, peuplée de monde aussi ; et toute cette foule silencieuse et immobile, deux cent mille personnes, dit-on, et point de tumulte et point de bruit ! car ce n’était ni un peuple, ni une foule, c’était un public, un parterre de deux cent mille personnes, parfaitement bien composé. Les rangs des loges, c’étaient les deux terrasses des Tuileries ; les avant-scène, c’était l’hôtel de la marine, et les magnifiques hôtels qui lui servent de pendants. La famille royale occupait le pavillon de l’hôtel de la marine, le balcon qui donne sur le jardin des Tuileries ; la loge du roi était tendue en bleu ; la belle galerie de l’hôtel était occupée par le corps diplomatique, et parée des plus jolies femmes de la cour de Juillet. La terrasse qui termine l’hôtel était aussi garnie des parents et des amis des femmes de