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LETTRES PARISIENNES (1837).

Dimanche dernier, la Muette a obtenu un véritable succès à l’Opéra, et la Sonnambula a été très-applaudie au Théâtre-Italien. Il s’est fait depuis quelques années une grande révolution dans le répertoire de la semaine théâtrale. Autrefois, le dimanche était un jour abandonné au vulgaire ; on ne jouait que de vieilles pièces, avec de vieilles doublures ; la recette étant assurée, on n’avait garde d’user ses nouveautés pour séduire un public inévitablement séduit. Les gens du monde, ce jour-là, ne savaient que faire de leur soirée, car le mot « spectacle du dimanche » épouvantait tous les merveilleux ; aujourd’hui, quelle différence ! les meilleures pièces, les meilleurs acteurs sont réservés pour ce jour réhabilité. Malheur aux admirateurs de Duprez qui ont une loge à l’Opéra le lundi ! Duprez appartient au dimanche. Lafond et madame Stolz sont les ornements du lundi. Malheur aux admirateurs de Rubini qui ont leur loge au Théâtre-Italien le samedi ! ce jour-là Rubini se repose ; il garde ses plus doux accents pour le lendemain. Madame Persiani elle-même a si bien compris l’esprit du Théâtre-Italien, qu’elle ne met d’âme dans son jeu que le dimanche : les jours de la semaine, elle se montre froide et seulement bonne cantatrice ; mais le dimanche, elle devient tout à coup actrice passionnée. Les jours ouvrables, elle est indifférente à tous les malheurs ; elle n’a d’émotion que les jours de repos : alors on voit qu’elle s’agite devant un public payant, car les gens qui ont une loge louée à l’année, c’est-à-dire qui ont payé d’avance, ne sont plus un public payant. En fait d’argent, le passé ne compte pas ; l’avenir est tout. Quand nous nous plaignons de cet abus, on nous répond que l’Opéra et le Théâtre-Italien n’ont pas le droit de donner de représentation le dimanche, et cela ferme la bouche à tout le monde. Puisqu’ils n’en ont pas le droit, on n’a rien à dire. N’est-ce pas ainsi, à Paris, que l’on calme toutes les indignations ? Pourquoi, demandez-vous, permet-on telle ou telle chose ? — Mais on ne la permet pas ; elle est, au contraire, expressément défendue. Bon ! quand un abus est arrivé à faire naître ce dialogue, il est éternel. Aphorisme : Toutes les choses défendues sont protégées par la loi.