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LE VICOMTE DE LAUNAY.

croisés ; cette pièce nouvelle… c’est Tartuffe !!! Qu’on nous permette de trahir d’avance le nom de l’auteur, M. Poquelin de Molière, homme de lettres fort distingué ; cette indiscrétion ne peut nuire à son succès. Tout fait croire que cette comédie sera jouée avec le plus parfait ensemble : voilà cent cinquante ans qu’elle est à l’étude : les rôles sont sus par tout le monde, par les acteurs et surtout par les spectateurs. Demain, à l’Odéon, relâche, pour la répétition générale du Misanthrope.

Nous sommes allé dimanche à la Comédie française. Mademoiselle Mars jouait deux fois, dans Marie et dans la Suite d’un bal masqué. Nous dirons à mademoiselle Mars ce que le Père de la débutante dit à tous ceux qu’il veut flatter : Vous êtes une femme vraiment étonnante !!! toujours jeune, toujours élégante, une taille gracieuse, les gestes les plus nobles, la voix la plus fraîche ; oh oui ! mademoiselle Mars, vous êtes une femme vraiment étonnante ! Quant à mademoiselle Anaïs, nous lui dirons : Vous êtes, en vérité une femme étonnante, et encore plus étonnante. Mademoiselle Mars reste jeune, c’est déjà beaucoup ; mademoiselle Anaïs rajeunit ! Ce n’est pas une plaisanterie. Dans le rôle de Cécile, on la trouve un peu trop enfant pour aimer si passionnément ce grand M. d’Arbelles, qui a l’air d’avoir trois fois son âge. Marie avait attiré beaucoup de monde ; les femmes pleuraient abondamment, car toutes les femmes peuvent apprécier les trois beaux sacrifices de Marie, surtout celles qui sont incapables de se sacrifier : ne vous y trompez pas, ces femmes-là sont les plus sensibles. Un sacrifice leur coûterait tant, qu’elles n’auraient pas même la pensée de le tenter.

À propos de sacrifice, nous avons apprécié le dévouement sublime de mademoiselle Mante, qui se résigne depuis dix ans à jouer toujours le même rôle dans toutes les pièces. On ne daigne inventer rien de nouveau pour elle : voyez-la dans toutes les comédies modernes, c’est toujours une grosse veuve enjouée, qui taquine un jeune homme très-maigre, toujours : dans la Suite d’un bal masqué, la méchante rieuse désespère Saint-Albe ; le pauvre garçon fait pitié ; dans Valérie, même gros enjouement, même cruauté, même désespoir d’un jeune homme très-maigre ; enfin, dans Marie… le jeune homme est