Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
LE VICOMTE DE LAUNAY.

lorsque l’heureuse trouvaille du savant sera soudain exploitée par l’homme d’affaires, lorsque enfin on aura trouvé le secret de faire de l’or avec des fleurs ! Dans une de nos courses dernièrement, nous avons déjà vu un exemple de cette double manie : nous étions allé avec cette jolie femme qui veut absolument nous faire faire un cours d’horticulture, et à qui nous demandons mille fois pardon de notre fatuité, nous étions allé visiter un nouvel établissement fort à la mode, mais dont le nom, infiniment trop prolongé, nous a fait rire : société d’horticulture française, anglaise et hollandaise. On aurait pu ajouter chinoise, à cause des magnifiques plantes chinoises qui sont l’orgueil de cette collection ; mais chinoise ne rimait pas assez bien avec française, anglaise et hollandaise ; probablement c’est pour cela qu’on a cru devoir l’éviter. C’est là que nous avons vu la science aux prises avec l’industrie ; chacune avait son langage, chacune faisait valoir dans sa propriété les richesses qu’elle appréciait. Le florimane disait : « Ah ! monsieur, si vous voyiez ce lis, ce fameux lis de la Chine, rapporté par Cibolt, quelle fleur admirable ! quelle nuance rosée ! et ces perles d’or qui brodent le calice, quel travail merveilleux ! » Il parlait de cette fleur comme un joaillier parlerait d’un bijou ; pour lui, la valeur de la plante était dans sa beauté et surtout dans sa rareté. Mais aussitôt le jardinier industriel venait l’interrompre. « Ah ! oui, monsieur, on peut dire que c’est une belle fleur ; tout le monde est venu la voir cet été, et maintenant c’est à qui aura des oignons. Nous en vendons, nous en vendons, c’est un plaisir ! dans un an, il y en aura partout… » N’est-ce pas charmant ? Grâce à l’industrie, bientôt il n’y aura plus de plantes rares ; les manufactures, ou plutôt les fabriques de fleurs, mettront les plantes les plus précieuses à la portée de toutes les fortunes ; déjà les dahlias sont la parure de tous les jardins. Il y a trente ans, les dahlias étaient inconnus, les camélias aussi. Autrefois, l’hiver et l’automne n’avaient point de fleurs ; quelques roses du Bengale, quelques reines-marguerites, et voilà tout. Aujourd’hui, nos jardins, au mois d’octobre, rayonnent de dahlias éblouissants ; on attend le mois de janvier pour donner des fêtes, parce que le mois de janvier est la saison des camélias. On peut supprimer le souper et