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LETTRES PARISIENNES (1837).

bon goût. Mais les premières représentations sont souvent de petites émeutes littéraires que la présence d’un prince du sang ne prévient pas toujours ; et n’est-ce pas une imprudence que de s’exposer à ne point les apaiser ? Et puis Caligula, c’est une royauté qu’on méprise ; Caligula, c’est un empereur qu’on assassine. Le drame entier est une chaîne de conspirations plus ou moins hardies, qui ramènent une suite de mots plus ou moins pénibles, qui sont malheureusement des souvenirs. Certes, nous ne songeons à faire aucune comparaison entre ce temps-là et le nôtre, entre César et nos rois ; mais, bien que les applications soient impossibles, il est dans ce drame de certaines phrases de républicanisme romain que nous avons entendues naguère traduites en bon français. Dans un pays où la reine ne peut voir sans frémir son mari monter en voiture pour aller se promener, dans une époque où l’assassinat trimestriel n’étonne plus, les mots de complot, de conjuration, de conspiration, doivent être bien durs à l’oreille, et nous croyons que les princes de la famille royale doivent trouver peu d’agrément dans ce plaisir d’imagination qui leur rappelle toutes les angoisses de leur vie. Nous pensons donc qu’il n’est pas convenable que les princes assistent, ostensiblement du moins, aux premières représentations, et nous sommes bien persuadé que M. le duc d’Orléans, qui n’avait peut-être pas cette idée il y a deux jours, est tout à fait de notre avis aujourd’hui. Mais on savait d’avance l’ingénieuse surprise, l’hommage gracieux que l’auteur avait préparé en l’honneur de madame la duchesse d’Orléans ; on savait que le manuscrit du poëte, copié par lui-même, chef-d’œuvre d’écriture et peut-être de style, enrichi de charmants dessins de Boulanger, de Dauzat, etc., serait déposé, par l’ouvreuse, dans la loge royale, comme un libretto ordinaire ; on était flatté de cette attention pleine d’élégance et de bon goût, et l’on ne voulait pas faire manquer la surprise en refusant d’assister au succès de l’ouvrage… on est venu, peut-être malgré soi, pour ne pas désobliger un homme de talent : c’était une faute ; de pareilles fautes sont si rares, qu’elles méritent presque des éloges ; mais, hélas ! quand on est prince, il faut se défier de tout, même de ses bonnes intentions.