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LETTRES PARISIENNES (1838).

les rubis dardaient de toutes parts des rayons à éblouir les yeux. Enfin, ces trois rangs de femmes immobiles et couronnées de pierreries faisaient l’effet d’une illumination en verres de couleur, et la reine, comme un général qui sait le nom de chacun de ses soldats, la reine connaissait par leur nom toutes ces femmes, et savait trouver un mot aimable à dire à chacune d’elles, sur leur plus cher intérêt : pas une erreur, pas un oubli, c’est merveilleux ! On n’a cette mémoire qu’avec de l’âme ; et quand nous disons cela, on peut nous croire, car nous n’y étions pas.

Voilà un feuilleton qui nous fera bien des ennemis, beaucoup plus que le dernier vraiment, qui était tant soit peu moqueur. Une épigramme ne fâche que celui qu’elle atteint : elle divertit ses amis, qui connaissent mieux que personne ses défauts et ses ridicules, et elle réjouit tous ses ennemis. Un éloge, au contraire, a des chances moins heureuses : il fâche quelquefois celui qu’on voulait flatter, il blesse les amis envieux et irrite les ennemis. Un éloge bien fait et mérité ne se pardonne pas. Aussi n’avons-nous jamais oublié cette parole d’un vieux courtisan : « J’ai soixante-dix-huit ans, disait-il, et je suis parvenu à cet âge sans avoir jamais eu un seul ennemi. — Vous n’avez donc jamais eu de succès ? — J’ai eu de grands succès. — On ne vous a donc jamais aimé ? — J’ai été au contraire fort aimé. — Eh bien ! quelle est votre recette ? — Je n’ai jamais fait l’éloge de personne. »

Quelle heure est-il donc ? — Dix heures. — Déjà ! C’est l’heure du bal. Partons bien vite, car il n’est plus de bon goût d’arriver tard chez madame l’ambassadrice d’Angleterre.


LETTRE DEUXIÈME.

Un mois de silence. — La Comédie de la mort. — Le monde politique.
17 février 1838.

Un mois de silence, c’est beaucoup, cela demande une explication. Nous nous étions tout simplement révolté ; nous ne voulions plus faire le Courrier de Paris, en vérité ; nous ne voulions plus être journaliste, sous prétexte que nous sommes poëte. Et voici comment la poésie nous est venue. Un jour que nous étions malade, et non pas indisposé, comme on