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LE VICOMTE DE LAUNAY.

l’a dit, car nous n’osons plus nous servir de ce mot depuis que nous avons lu dans la Presse qu’on avait administré les derniers sacrements à une personne grièvement indisposée, ce mot est beaucoup trop significatif, malade est moins fort ; un jour de fièvre, enfin, ne pouvant ni sortir, ni parler, nous avons voulu lire ; nous demandons un livre amusant pour nous distraire, on nous apporte un gros recueil de poésies intitulé la Comédie de la mort. Le titre n’avait rien de réjouissant, mais le nom de l’auteur était assez plaisant. La Comédie de la mort, par Théophile Gautier ! Quoi ! Théophile Gautier poëte ! le prince des moqueurs, ce maître en ironie, ce grand sabreur de renommées, est aussi un rêveur de cascades, un habitant mélancolique du flottant royaume des nuages ! lui, le brillant feuilletoniste de la Presse ! lui, le lundi dont nous sommes le samedi !… Jugeons un peu ses œuvres, puisqu’il s’offre à la critique à son tour ; vengeons nos vieux amis qu’il ne ménage guère, apprécions enfin ces vers de feuilleton. Ce disant, nous avons pris ce lourd volume, nous promettant bien de le traiter légèrement. Mais par malheur nous sommes juste, et malgré notre bonne envie d’être taquin, nous avons été contraint d’admirer de beaux et magnifiques vers dont nous aurions bien pourtant voulu rire, et maintenant que nous avons vu notre jugement confirmé par les grandes autorités littéraires de notre époque, nous avouons franchement que la lecture de ce livre nous a rendu poëte à notre tour. Quand nous avons découvert que l’on pouvait passer si heureusement du feuilleton à l’élégie, du compte rendu à l’ode et de la critique à l’enthousiasme, nous avons pensé que nous-même nous pouvions arriver à une semblable métamorphose ; nous avons dit : « Tous les feuilletonistes de la Presse sont poëtes, Dumas, Méry, Théophile Gautier ; il faut absolument que nous fassions des vers aussi. » Et nous nous sommes mis à l’ouvrage ; et quand on est venu il y a quinze jours chercher notre feuilleton, nous avons répondu avec dédain : « Il n’y a point de Courrier de Paris ! nous faisons des vers, nous vous donnerons notre poëme quand il sera fait ; » car nous avions alors toute l’insolence de l’inspiration. Depuis, nos amis sont venus nous trouver, ils nous ont dit : « Vous avez tort ; vous avez réussi dans un genre,