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LETTRES PARISIENNES (1838).

ombrelle, de l’autre un petit portefeuille contenant des cartes de visite. C’est la femme d’un des premiers fonctionnaires de la ville ; elle va de l’autre côté de la montagne faire une visite à une de ses amies ; sa fille marche devant elle ; mais tout à coup l’enfant s’arrête : « Qu’as-tu, ma fille ? dit une voix douce. — Maman, c’est un gros serpent. — Laisse-le passer, petite… » Et le serpent traverse le sentier, et les voyageuses continuent leur route sans s’émouvoir de la rencontre. Mais on les a vues : un magnifique chapeau de paille d’Italie couvert de plumes blanches vient au-devant d’elles ; et ces parures fashionables, qui seraient admirées dans la grande allée des Tuileries, disparaissent à nos regards derrière les rochers.

Voyez-vous au bord de l’abîme cette solitaire maison ? le désert l’environne, des blocs de granit la protègent de tous côtés. — C’est la retraite d’un ermite, d’un poëte, ou le repaire d’un misanthrope ? — Point du tout, c’est une maison de banque. Passez à la caisse. — Entendez-vous cette cascade ? Quelle voix terrible ! quel bruit ! Qui peut donc habiter là ? — C’est la demeure d’un avocat. — Un avocat ! quelle abnégation ! — Où donc courez-vous dans la prairie ? qu’allez-vous faire dans cette chaumière isolée ? — Je vais jeter dans la boîte aux lettres une réponse à M. de Lamartine. — Dans cette cabane où sont les vaches ? — Oui : c’est un bureau de poste.

Ainsi, dans ce charmant pays, les beautés les plus simples de la nature se confondent avec les plus commodes recherches de la civilisation ; c’est une suite de contrastes piquants, une lutte constante des choses les plus étrangères entre elles, un mélange inconnu de rochers et de banquiers, d’avocats et de cascades, de loups et de chapeaux à plumes, de sangliers et de dentelles, de falbalas et de serpents, dont nous ne pouvons donner aucune idée et qui avait pour nous bien des attraits.

Que de belles promenades nous avons faites dans ces campagnes ! que de fois les flots du Thorion ont réfléchi l’étrange image de notre coursier ! Nous disons coursier, le nom de cheval ne lui conviendrait en aucune sorte. C’était un quadrupède de race et de forme sans nom, dont l’allure de fantaisie était pleine d’originalité. Ce compagnon de voyage n’était pas digne de nous sans doute, il n’avait en apparence rien d’élé-