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LE VICOMTE DE LAUNAY.

gant ; aussi était-ce pour nous moins une monture qu’un guide. Mais ce bon vieillard qui se disait natif de Limoges connaissait si bien le pays ! Il savait tous les détours de la montagne, il s’arrêtait dans tous les pacages, il allait boire à toutes les fontaines, il entrait dans toutes les chaumières, il saluait toutes les jeunes filles, et fuyait tous les paysans ; la voix d’un charretier le remplissait de crainte ; le moindre fouet claquant dans les airs le faisait partir au grand trot. C’était plus fort que lui, c’était plus fort que nous, il n’était pas maître de ses souvenirs. Grâce à son humeur vagabonde, nous avons parcouru tout le canton, nous avons visité les ruines du temple des druides à Perseyx, monument superbe que M. Mérimée ne connaît pas ; nous avons vu le joli lac de Péra, l’étang de la Chapelle, la cascade de Saint-Martin-le-Château, les bois du Palais, Pontarion, Sauviat, etc., etc.

Mais à quoi bon rappeler toutes ces choses ? c’est Paris qu’il nous faut regarder aujourd’hui… Ô Paris ! Paris !

Tels étaient nos plaisirs. Quel changement, ô dieux !

Qu’avons-nous dit ? imprudent que nous sommes ! citer Racine dans la Presse ! L’audace est extrême, nous l’avouons ; mais on nous pardonnera cette licence poétique en faveur de nos souvenirs. C’est une faiblesse, que voulez-vous ? nous le savons bien ; mais Racine est pour nous un ami d’enfance ; nous ne le jugeons pas, nous l’aimons. Notre admiration pour lui n’est que tendresse ; c’est une de ces erreurs puériles, un de ces préjugés de naissance qu’on suce avec le lait. L’âge n’y peut rien et la raison n’en guérit pas ; c’est ce vulgaire amour plein de niaiserie que l’on ressent pour sa nourrice, pour une vieille paysanne qui a les mains rouges, qui dit : J’avions, j’étions, je sommes, et que l’on embrasse devant tout le monde, comme sa mère, malgré son bonnet rond et ses sabots. Racine ne dit pas précisément : J’étions et j’avions, mais il parle, dit-on, une langue vieillie. Il ne porte point de sabots, mais le lacet de ses cothurnes est bien usé. Nous l’aimons donc par habitude, par reconnaissance aussi ; ses beaux vers… non, ses vers chéris gardent encore le parfum de nos belles années ; ils retentissent encore de la voix bien-aimée d’un père, leur