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LETTRES PARISIENNES (1838).

entre ces deux mots : être ministre ou n’être plus ministre. Si l’on savait cela, on aurait le secret de beaucoup d’empressements inexplicables que vous appelez des ambitions impatientes, et qui ne nous paraissent à nous que de naïves humilités. Nous ne disons pas cela pour M. Thiers ; lui, comme M. Guizot, serait placé pour attendre ; bien mieux, nous trouvons même que les chutes lui vont très-bien. M. Thiers n’est jamais si grand que par terre ; le piédestal ministériel ne lui est pas avantageux ; la lutte, au contraire, lui donne de la force ; son esprit étincelant, sa parole heureuse, lui rendent subitement le prestige que le ministère lui avait fait perdre. M. Thiers est très-puissant quand il n’est pas au pouvoir. Ainsi ce que nous disions l’autre jour de M. Guizot peut s’appliquer encore à lui. M. Thiers a deux gloires qui le réclament, et il peut se consoler d’être un ministre léger en étant un historien profond. Mais il n’en est pas de même de nos autres hommes d’État et des petits ministres à la suite : ceux-là n’ont de valeur qu’un portefeuille en main. Pour ceux-là, to be or not to be ! c’est être ministre ou n’être pas ministre ; c’est être quelque chose ou n’être rien. Et pour les femmes, enfin !… pour les femmes d’État, dont nous ne parlons pas, croyez-vous donc qu’il n’y ait pas une grande distance entre la vie commune et l’existence officielle ? Recevoir chez soi, tout naturellement, madame l’ambassadrice d’Angleterre, madame l’ambassadrice d’Autriche, monseigneur le nonce du pape, madame la princesse de L…, M. le maréchal de***, etc., etc., être des leurs, les recevoir presque habituellement, leur parler avec confiance ; ou bien tout à coup se voir séparée d’eux par la foule, redevenir simple bourgeoise, de grande dame que l’on était, et ne plus communiquer avec ces nobles personnages que comme le reste des mortels, une ou deux fois par an, les jours de fête, ou, ce qui est plus triste encore, ne plus les recevoir du tout : voilà, vous en conviendrez, deux existences bien différentes ! Être entourée, flattée, ou bien être abandonnée, oubliée, ce n’est pas non plus la même chose ; et puis encore, avoir des loges à tous les théâtres, ou bien n’en avoir plus nulle part ; aller au spectacle tous les soirs, ou bien n’y plus aller jamais, c’est encore très-différent. On a beau