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LE VICOMTE DE LAUNAY.

depuis trois ou quatre ans le luxe des appartements ; c’est une folie dont rien ne peut donner l’idée. Le moindre canapé vaut cent louis, le moindre lustre vaut douze à quinze mille francs. Les ornements d’une fenêtre représentent la dot d’une fille, les meubles d’un salon coûtent ce que coûterait l’éducation d’un fils, les joujoux du boudoir sont la rançon d’un roi. Les cheminées ont des housses de velours avec des franges d’or, les fauteuils ont des manchettes de dentelle ; les lambris sont cachés sous des étoffes merveilleuses, brodées, brochées, lamées, et si épaisses, si fermes, qu’elles se tiennent debout d’elles-mêmes, et pourraient au besoin soutenir les murs qu’elles recouvrent s’ils venaient à fléchir ; ceci n’est pas une plaisanterie, les tentures d’un salon sont, en proportion, aussi épaisses que les murs sont minces. Les rideaux sont fabuleusement beaux ; on les met doubles, triples, et l’on en met partout. Une porte, on la cache derrière un rideau ; une armoire, on la cache derrière un rideau ; une bibliothèque, on la couvre aussi d’un rideau ; il y a quelquefois huit ou neuf rideaux dans une chambre, et, comme ils ne sont pas tous pareils, on se croirait admis à visiter une exposition de tapisseries. Les meubles sont tous dorés, les murs aussi sont dorés ; on parle d’un des hôtels les plus élégants de Paris, qui ne compte rien moins que sept salons dorés, tous ornés et meublés de même. L’usage le veut ainsi. Dans les appartements de réception règne une somptueuse uniformité. Dans les salons de conversation, comme on dit en province, l’air artiste est au contraire du meilleur goût. Là rien ne doit être assorti, là règnent le caprice, la fantaisie et quelquefois le cœur aussi, car c’est l’asile des souvenirs ; là sont des meubles de toute espèce, de tous les siècles ; là l’ensemble n’est plus un devoir. L’harmonie est dans la pensée qui a présidé à cet arrangement. Cette boîte est le legs d’une tante ; cette table à ouvrage, le présent d’un vieil ami ; ceci a été rapporté d’Espagne ; cela est venu de Constantinople, d’Alexandrie, d’Alger ; ceci a été gagné à une loterie de charité. Ce petit chevalet garni de velours rouge porte un tableau de M. de M… ; cet autre charmant dessin est de madame D… Quel est cet affreux portrait ? c’est celui de la maîtresse de la maison. Qui l’a fait ? c’est