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LETTRES PARISIENNES (1838).

LETTRE SIXIÈME.

Supplice des beaux enfants déguisés. — Apollon transi. — Le ballet des cariatides. — Un père intrigué par sa fille.
15 février 1839.

Ce grand bruit de plaisirs nous a toujours fait rêver amèrement. Quand nous étions enfant, les masques nous faisaient une peur si affreuse et les déguisements étaient pour nous le sujet de tant de larmes, que nous avons conservé contre les fêtes du carnaval une rancune dont les plus beaux bals costumés n’ont pas encore triomphé. Nous avions le malheur d’être un bel enfant. Ah ! plaignez ces victimes adorées qui font la gloire de leurs parents : les jours gras ont pour elles d’horribles supplices inconnus des autres enfants ; ceux qui ont le bonheur d’être laids, du moins, peuvent s’amuser pendant le carnaval : on les habille en arlequins, en pierrots, en paillasses, et puis on leur dit : Allez… Mais ceux, hélas ! qu’un destin ennemi condamne à l’admiration, ceux que l’on pare, et que l’on craint surtout de déguiser, ceux-là ne jouissent d’aucun plaisir. On commence par les mettre en retraite ; on les fait coucher plus tôt qu’à l’ordinaire, pendant les deux jours qui précèdent leur triomphe. Si en jouant ils se laissent tomber, ce qui est l’usage, on ne les plaint pas, on les gronde, on ne voit point le coup qui les fait souffrir, on ne voit que la cicatrice qui les défigure ; on les gronde, c’est bien, ils pleurent ; et puis on les gronde parce qu’ils ont pleuré. Enfin le grand moment arrive, on les affuble d’une façon plus ou moins avantageuse, ils sont charmants ; toute la maison accourt et les admire, la nourrice est dans l’extase, le portier verse des larmes d’attendrissement, ce sont des exclamations de joie qui lui font le plus grand honneur : « C’est un bijou ! c’est un ange ! c’est un amour ! » s’écrie-t-on. Eh mon Dieu ! c’est bien mieux que tout cela vraiment : c’est un martyr ! Le pauvre enfant s’approche de sa mère, qui le dévore des yeux. « Maman ! dit-il d’une voix plaintive en étendant son petit bras, maman ! — Eh bien ? — Ça me tire ! » On s’empresse, on arrange comme on peut cette manche qui est trop courte. On admire de nouveau l’ensemble ; mais l’enfant s’approche de sa