Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
LE VICOMTE DE LAUNAY.

tante. « Que tu es beau, mon petit ami ! — Ma tante, dit l’enfant que la vanité ne soutient pas encore, ma tante, ça me pince ! » et il montre son genou qui est affreusement serré. — Comme il n’y a pas de remède : « Marche, petit, dit la bonne tante ; en marchant, le drap s’élargira. » L’enfant, qui voit qu’une tante est impitoyable, s’approche de sa grand’mère ; elle est faible, il compte sur elle : on peut toujours compter sur la faiblesse. « Bonne maman, dit-il en montrant ses broderies d’or ou tout autre ornement de son costume, bonne maman, ça me gratte ! » La grand’mère va s’attendrir, on les sépare, et pour étourdir l’enfant bien-aimé on lui répète de tous côtés qu’il est joli, qu’il est charmant ; et pour fermer sa bouche à toutes plaintes une femme de chambre lui dit à l’oreille : « Il faut souffrir pour être beau ! » maxime admirable, refrain consolateur avec lequel on mène au supplice tous les martyrs de la vanité. Ah ! si la beauté se mesure à la souffrance, que nous devions être beau, pitoyablement beau, ce fameux jour où l’on conçut l’aimable idée de nous déguiser en Apollon !… Une longue chevelure dorée avait servi de prétexte à ce déguisement, que le dieu offensé nous a fait depuis cruellement expier. Comme il s’est vengé de notre insolence ! Dès l’instant même il nous a puni. Pauvre enfant frileux, que nous étions peu digne de cette parure immortelle ! que cette tunique nous semblait légère ! que ces rayons d’or nous semblaient pesants ! Et cette malheureuse lyre que nous laissions traîner sur toutes les chaises, que de reproches elle nous attirait ! comme elle nous a fait gronder ! Que nous avions froid !… On nous trouvait toujours à genoux devant le feu, car nous n’avions pas dérobé le feu du ciel, nos propres rayons ne nous suffisaient point. Ah ! sans doute, c’est en nous voyant que les savants ont découvert cette vérité jusqu’alors inconnue, que le soleil n’a point de chaleur ! Quel beau rhume nous avons rapporté de l’Olympe ! Apollon transi, nous avons fait verser dans la neige le brillant char du Jour, et nous nous sommes toujours ressenti de cette chute-là.

Maintenant que, par bonheur, les parents ont moins de poésie dans leurs idées de carnaval, les déguisements d’enfants sont plus commodes ; les costumes de matelots, par exemple,