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LE VICOMTE DE LAUNAY.

tution généreuse se fonde, qu’une assemblée vraiment intéressante ait lieu, tous garderont le plus parfait silence ; et c’est à peine si l’on permettra aux assistants émerveillés de raconter ce qu’ils ont vu, de dépeindre ce qu’ils ont éprouvé… Ainsi, nous-même qui sommes à la recherche de toutes les bonnes et nobles pensées, nous-même nous n’avions aucune idée d’une des institutions les plus admirables de notre époque. Depuis deux ans on nous parlait bien de la méthode Wilhem et des concerts populaires de la Sorbonne, mais on en parlait vaguement et comme d’un essai dont le résultat était douteux. Aujourd’hui le succès est éclatant, et si quelque chose nous étonne, c’est que nos grands compositeurs n’aient pas encore songé à s’emparer de ces nouveaux trésors d’harmonie. Un chœur de quatre cents ouvriers de tous les âges, depuis six ans jusqu’à cinquante ans ! comprenez-vous cet effet de voix ? ce mélange de voix enfantines, de voix adolescentes, de voix brillantes et jeunes, de voix puissantes et graves, voix rivales qui, par le plus merveilleux ensemble, ne forment qu’une seule voix ! quatre cents personnes enfin qui chantent à l’unanimité, et avec une précision, une intelligence, un goût musical que vous ne trouvez dans les chœurs d’aucun théâtre ! Nous avons entendu maintes fois la belle prière de la Muette de Portici à l’Opéra, où sans doute elle est très-bien exécutée, mais ce n’est rien en comparaison de l’effet produit par une prière semblable, chantée par nos quatre cents ouvriers ; nous avons entendu en Allemagne ces fameux chœurs si vantés, nous avons entendu à Rome le Miserere de la chapelle Sixtine, et nous déclarons que l’impression vive et profonde que laissent ces mélodieuses solennités a été pour nous complètement dépassée par la puissante émotion que nous a causée, au dernier concert de la Sorbonne, le chant de ces pauvres ouvriers ; ces accords inconnus, ces prières harmonieuses, nous transportaient bien loin de ce monde désenchanté ; il nous semblait entendre les célestes symphonies, le chœur fraternel des anges et des chérubins. Seulement, les anges étaient des menuisiers, des imprimeurs et des orfèvres ; et parmi les chérubins nous apercevions çà et là quelque nègre bouffi qui battait la mesure avec ses doigts d’ébène aux ongles blancs !