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LE VICOMTE DE LAUNAY.

en lapis, etc. Le procédé de M. Collas met en œuvre les corps les plus durs comme les plus tendres ; et ces copies de statues et de bas-reliefs sont tellement parfaites, que les imperceptibles altérations du marbre usé par le temps s’y trouvent reproduites exactement. Cette étonnante découverte doit opérer une révolution complète dans l’architecture moderne. Plus de murailles nues, froides et grisâtres : les boiseries sculptées, calquées sur les premiers modèles du genre nous sont permises maintenant ! Plus de troubadours bossus, plus de Cromwell botté, plus de châtelaines corsées sur nos pendules : l’art antique est mis à la portée de tout le monde. Diane, Vénus, Minerve, Niobé, soyez les bienvenues, mesdames ; entrez dans nos demeures, on peut vous recevoir aujourd’hui sans se ruiner. Amenez qui vous voudrez ; qu’Apollon, Méléagre et Antinoüs vous accompagnent, leur place est ici. Les dieux pénates sont revenus ; l’autel domestique est relevé, on l’appelle étagère et petit Dunkerque, mais n’importe, tout le vieil Olympe est ressuscité ; bien mieux, il est réhabilité. Et qui le croirait ? c’est un art nouveau, ennemi de toute poésie, c’est l’art des calculateurs qui lui rend la vie. Les dieux d’Homère se réveillent ; on les refait à la mécanique. Ô mécanique ! fille mystérieuse de Vulcain et de Minerve, reine du siècle, qu’elle est formidable la puissance ! que ta marche est terrible ! Qui peut te suivre et t’arrêter ? Tu braves l’espace et le temps ; les cent roues de ton char ont sillonné le monde ; les obstacles, tu ne les vois pas. Tu dis au fleuve : Prête-moi ta force ! tu dis à la montagne : Range-toi, que je passe ! Ces tristes divinités de l’Olympe, que tu ranimes aujourd’hui, tu les avais vaincues tour à tour ; tu as ravi au fougueux Éole l’empire des flots ; tu as devancé dans la carrière le vigilant Mercure ; tu as chassé de la terre le dieu muet du silence : Harpocrate, épouvanté, s’est réfugié dans les cieux. Fille ingrate, tu as même détrôné Vulcain, ton père ; les Cyclopes désœuvrés croisent leurs bras en te maudissant ; et maintenant, par un caprice inconcevable, tu te fais amante des arts ; sous tes mille doigts, les beautés antiques se reproduisent ; et, complétant la pensée des philosophes qui crient : La liberté pour tous !… tu leur réponds en multipliant les chefs-d’œuvre : Les arts pour tous !