Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
331
LETTRES PARISIENNES (1838).

tombé du haut rang à d’illustre maréchal à l’état de vieux courtisan. Cela demande une explication. Vieux courtisan, et de qui, s’il vous plaît ? — Mais du roi. — Du roi de Prusse, sans doute ; messieurs, vous voulez rire, les rois de notre époque n’ont pas de courtisans, et vous savez bien pourquoi, vous qui les avez faits constitutionnels ; flatter, c’est demander, et quel homme assez fou perdrait son temps à implorer un prince qui ne peut rien donner ? Hélas ! on ne prie Dieu lui-même que parce qu’on le croit tout-puissant.

On flatte ceux dont on craint la colère et la disgrâce ; on flatte ceux dont on ambitionne la protection et la faveur ; on flatte ceux qui ont la force et dont on redoute le caprice ; et vous savez bien que les rois constitutionnels ne peuvent jamais être ni forts ni capricieux. Comment voulez-vous donc que l’on encense de pauvres rois dont on n’a rien à espérer et rien à craindre ?

Les ministres ont pour flatteurs les solliciteurs.

Les préfets ont pour flatteurs les conseillers généraux.

Les conseillers généraux ont quelquefois pour flatteurs les préfets.

Les percepteurs ont pour flatteurs les contribuables en retard.

Les gardes champêtres ont pour flatteurs les braconniers.

Les banquiers ont pour flatteurs les agents de change.

Les avocats ont pour flatteurs les criminels.

Les médecins ont pour flatteurs les apothicaires.

Les épiciers ont pour flatteurs les marquis républicains.

Les parvenus ont pour flatteurs les pique-assiettes.

Les usuriers ont pour flatteurs les fils de famille.

Les fils de famille ont pour flatteurs les gros joueurs de profession.

Les libraires ont pour flatteurs les auteurs sans nom.

Les auteurs célèbres ont pour flatteurs les libraires.

Les grands acteurs ont pour flatteurs les petits auteurs.

Les bons auteurs ont pour flatteurs les mauvais acteurs.

Les claqueurs ont pour flatteurs les auteurs et les acteurs.

Les électeurs ont pour flatteurs les députés.

Les députés ont pour flatteurs les ministres.

Voilà donc le cercle fermé, et chaque puissance est reconnue