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LETTRES PARISIENNES (1838).

donne pour ennemis instantanés tous les gens à pied, tous les gens en voiture, voire même ceux qui possèdent soixante mille livres de rente en terres et un magnifique château.

Avoir une superbe galerie de tableaux, une bibliothèque princière, cela ne fait point d’ennemis ; avoir pour ses plaisirs, et quelquefois pour ses affaires, une place dans une bonne loge à l’Opéra, cela vous fait pour ennemis tous ceux qui se ruinent en tableaux et en livres.

De même pour les femmes. Avoir une bonne maison, une bonne table et une bonne voiture, cela ne vous fait pas d’ennemis ; avoir un petit salon toujours coquet et rempli de fleurs, cela vous fait pour ennemies toutes les femmes, et surtout celles qui ont une bonne voiture, une bonne table, une bonne maison.

Porter des diamants célèbres, de beaux châles de l’Inde, cela ne fait point d’ennemis ; avoir toujours des ceintures nouvelles, savoir choisir les plus jolis rubans de mademoiselle Delatour ou de mademoiselle Vatelin, cela vous fait pour ennemies toutes les femmes, surtout celles qui ont de beaux châles et de beaux diamants. Ceci est un phénomène que nous tâcherons d’expliquer ainsi : on vous pardonne les solides avantages de la fortune, parce qu’avec de la fortune ces avantages peuvent s’acquérir ; mais on ne vous pardonne point les grâces de l’élégance, parce que l’élégance est une qualité personnelle que vous envient également ceux qui ne l’ont point, malgré leur richesse, et ceux qui ne seraient pas très-certains de l’avoir s’ils étaient dans votre position.

Autre banalité. On dit encore, et qui n’a dit cela au moins une fois dans sa vie : En France le ridicule tue tout ; et la foule de s’écrier : « Ah ! c’est bien vrai ! » Eh bien, nous, dût-on nous faire servir à prouver que cela est, nous vous dirons que cela n’est point ! En France, le ridicule n’a jamais tué personne ; il n’a jamais su ôter à un talent véritable une parcelle de sa valeur. En France, précisément, le ridicule n’a aucun empire. Voyez ces hommes qu’il a poursuivis de ses traits les plus mordants : ils sont là, debout, pleins de force ; et pourtant on a bien souvent fait rire à leurs dépens, on les a ridiculisés dans leurs ouvrages, dans leurs plus belles idées,