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LE VICOMTE DE LAUNAY.

feuïlletonesque ou feuilletonine. Les gens de la province nous entendent tout de suite, et ils nous écrivent quelquefois des lettres fort spirituelles sur les folies que nous disons. Ce sont nos meilleurs lecteurs ; les Parisiens n’ont pas le temps de comprendre, ils ont plus tôt fait de juger. — Parisiens, ceci est une épigramme contre vous.

La session est terminée, nos vieux écoliers sont en vacances. Ils n’ont pas trop bien travaillé cette année, et si l’on était juste, ils auraient peu de prix au grand concours ; mais ils ont su prendre leurs mesures, et pour être certains d’avoir quelque chose, ils se sont chargés eux-mêmes des distributions. — Ceci est une allusion pleine de malice contre les députés qui se distribuent, avec un désintéressement si patriotique, toutes les places lucratives de l’administration.

La Chambre des pairs siège encore ; sa tâche n’est point terminée. Un ministre-député, un des coryphées de la coalition, déplorait l’autre jour cette prolongation de travail et disait à un noble pair : « C’est ce maudit procès qui est cause de ce retard. — Oui, répondit le noble pair ; mais tout s’enchaîne : le procès a causé ce retard, l’émeute a causé le procès, et la coalition a causé l’émeute. » — Comme ces mots étaient une épigramme contre lui, le ministre éprouva le besoin de changer de conversation.

Paris est tout occupé de la question d’Orient. Les sultans plus ou moins empoisonnés, les pachas plus ou moins étranglés, voilà les héros du jour. On se perd dans cette nomenclature de généraux et d’amiraux musulmans. Quand on n’est pas fort en turc comme un Turc, on a peine à comprendre ces récits de guerre et à suivre ces grands capitaines dans leurs évolutions : Abd-ul-Medjid, Ahmet-Fcthij Halil-Pacha, Hafiz-Pacha, Chosrew-Pacha, sont des noms assez compliqués pour une mémoire parisienne ! Qu’est devenu le temps où les nouvelles d’Orient se bornaient à ces simples mots que le Constitutionnel publiait tous les trois mois régulièrement : « Ali-Pacha, fils d’Ali-Pacha, est mort ; il a pour successeur Ali-Pacha. » C’était simple, précis, il ne pouvait y avoir confusion. La politique de ce temps-là valait celle du nôtre. — Réflexion ironique.