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LETTRES PARISIENNES (1838).

La question des sucres vient après la question d’Orient. On raconte tout bas, et il nous plaira peut-être bien un jour de raconter tout haut, les scandaleuses intrigues des chevaliers de la betterave, qu’un homme d’esprit a surnommés les raffinés. — Jeu de mots historique. Voir les mémoires du temps.

À propos de bon mot, celui-ci nous semble agréable. On parlait des Scènes de la vie de province et du talent prodigieux de M. de Balzac. « Je ne partage pas tout à fait votre admiration, dit une jeune femme d’un petit air prétentieux ; j’aime beaucoup son style, mais je n’aime pas sa manière d’écrire. » — Ceci est une niaiserie qu’il ne faut pas prendre pour un trait d’esprit.

À propos de style, on remarque cette pensée dans un recueil que lady Blessington vient de publier à Londres, sous le titre de Desultory thoughts and reflexions : « Louer le style d’un écrivain plus que ses pensées, c’est faire l’éloge de la toilette d’une femme au détriment de sa beauté. Comme le costume, le style doit n’être qu’un accessoire, et ne pas détourner l’attention de ce qu’il est appelé à orner. » — Cette pensée est ingénieuse, mais elle n’est pas juste. Ce n’est pas détourner l’attention de la beauté que de la faire valoir. Victor Hugo parlait dernièrement style et poésie en jouant avec une de ces épingles à la mode, ces mouches naturelles montées en or : « Tenez, disait-il, voilà justement ce que c’est que le style : seule, cette mouche n’est qu’un insecte ; avec la monture, c’est un bijou. » Cette définition nous séduit davantage, car rien n’empêche de mettre un diamant dans la monture.

On parle toujours beaucoup dans le monde du Pèlerinage à Goritz. Le silence de quelques journaux légitimistes sur cette publication donne lieu à diverses conjectures. Pour nous, il n’a rien d’étonnant. Les partis, qui se sont hâtés de se reconnaître de l’esprit, n’ont aucun instinct, ils ne savent jamais ce qui les sert ; soit maladresse, soit envie, ils ont une méfiance obstinée contre tout ce qui leur est favorable. Nous ne serions pas étonné que le Pèlerinage à Goritz, — qui nous semble, à nous, un livre dangereux, en ce qu’il inspire un vif intérêt pour ceux qu’on veut faire oublier, en ce qu’il fait aimer ceux qu’on ne veut pas aimer, en ce qu’il détruit beau-