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LE VICOMTE DE LAUNAY.

leur prouver que je puis produire beaucoup d’effet dans un salon sans ces merveilles, et que je n’ai pas besoin de tout cela pour être plus jolie qu’elles. »

Cette vieille toque, pauvre mais honnête, qui ne vous disait rien à vous, nous dit à nous : « Je sais bien que cette coiffure est très-laide, et qu’elle n’a jamais été à la mode sous aucun règne ; mais qui me regarde ? et d’ailleurs, qu’importe qu’on me regarde ? je suis une bonne mère de famille, et j’aime mieux acheter une capote neuve à ma petite fille que de beaux chapeaux pour moi. Que le monde est ennuyeux et triste ! quelle corvée qu’une visite de devoir ! Il me tarde d’être à la maison pour coucher moi-même le petit ; ce cher amour est si délicat ! un rien l’enrhume. » — N’avons-nous pas raison de dire : Béguin orgueilleux, panache modeste ; la simplicité de l’un n’est-elle pas de l’insolence ? l’étalage de l’autre n’est-il pas, au contraire, de la déférence et du respect ? Les femmes pauvres sont obligées de se parer pour aller dans une grande soirée ; là il n’est permis qu’aux femmes immensément riches de faire des excès de simplicité.

En général, les toilettes ridicules, le froufrou, les garnitures historiées, les pouffes, les garnitures mirobolantes, les turbans à trois étages, les chapeaux à la polichinelle, les péruviennes en marabout, les chicorées exagérées autour des manches et de la jupe, les pompons, les rosettes jetées à profusion sur les robes, annoncent une grande aménité de caractère, de la générosité même ; les femmes fagotées de la sorte sont rarement méchantes ; par la même raison, les femmes véritablement méchantes sont rarement ridicules.

Défiez-vous des femmes qui s’adonnent aux lisérés de couleur avec persistance. Nous ne parlons pas de celles qui ont eu dans leur vie une ou deux robes garnies de cette manière, quand c’était la mode ; nous parlons de ces femmes qui portent toujours, et sans raison, des robes jaunes lisérées de rouge, des robes lilas lisérées de vert, des robes bleues lisérées de noir, des robes carmélite lisérées de bleu ; ce sont des sournoises qui n’osent pas avouer qu’elles aiment la toilette avec fureur. Défiez-vous d’elles, surtout si elles ne sont point jolies, car elles cachent d’innombrables prétentions : ce sont des